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La séance s’est ouverte à midi dans la salle du beau théâtre de cette seconde et magnifique ville de France. Le jury, composé assez étrangement de quelques artistes de Paris, car la province en est encore à croire que tout nom qui brille un peu à Paris est de l’or pur, le jury donc a vu défiler devant lui d’abord la société lyrique de Bordeaux, puis les sociétés chorales d’Agen, d’Angoulême, de Choisy-le-Roi, les orphéons de Niort, Poitiers, Tours, Blois et Orléans, etc. « La musique, a dit M. le maire de la ville de Bordeaux devant cinq mille auditeurs réunis sur la place des Quinconces, est bien plus qu’une récréation pour l’esprit et un charme pour l’oreille, elle pénètre jusqu’au cœur, et c’est un élément de moralisation ; en un mot, la musique est par excellence humaine et civilisatrice. » Voilà d’excellentes maximes, et, pour qu’elles aient été professées par le maire d’une grande ville, c’est-à-dire par un homme essentiellement pratique et peu disposé à la rêverie, il faut que le diable se mêle de nos affaires, et que les choses n’aillent pas tout à fait comme on voudrait les faire aller. Enfin on a distribué les prix, dont les deux premiers ont été remportés par la Société chorale de Clémence Isaure de Toulouse, et par la Société de Sainte-Cécile de Bordeaux, composée de soixante-dix membres, sous la direction de M. Mézerai. La Société de Sainte-Cécile a produit un très grand effet ; mais il faut dire aussi que la plupart des choristes du grand théâtre de Bordeaux en font partie, ce qui change un peu le caractère des sociétés orphéoniques, qui, sont et doivent rester des associations de simples artisans.

La ville de Dijon, qui est l’une des plus intelligentes, où les arts et particulièrement la musique ont toujours été cultivés avec beaucoup d’ardeur et de succès, car Dijon est la patrie de Rameau, a ouvert pour la troisième fois la lice d’un concours des sociétés chorales. C’est le 16 août qu’a eu lieu cette fête de l’art dans l’ancienne capitale de la Bourgogne. Le jury, composé d’une manière encore plus étrange que celui de Bordeaux, a distribué un premier prix à la Société chorale de Bourg, la seconde médaille à l’Union chorale de Châtillon, et la troisième aux Enfans de la Loire. M. le maire de Dijon a prononcé aussi un long discours où l’on peut remarquer le passage suivant : « Il est vrai de dire que si les compositions de Rameau (notre illustre compatriote), malgré les beautés qu’elles renferment, sont généralement moins goûtées aujourd’hui qu’elles ne le furent autrefois, son Traité d’harmonie et sa découverte de la basse fondamentale ont conservé toute leur autorité. On a même reconnu que Rameau avait trouvé les lois de l’harmonie, comme Newton celles du système du monde. » — Avouez, monsieur, que le pays dont les magistrats parlent un pareil langage n’est pas encore entièrement perdu pour les muses ! Sans doute il ne faut pas trop s’exagérer le mérite absolu de pareilles associations, où la musique proprement dite ne joue qu’un rôle secondaire : il faut y voir un exercice libéral des classes ouvrières, qui aspirent à faire un bon usage des rares instans de loisir que leur laisse la nécessité de vivre en travaillant. Les masses chorales les mieux disciplinées,