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transporté dans un autre monde, et la comparaison, je l’avoue, n’est pas à l’avantage du monde moderne. Évidemment l’art des anciens vous élève dans une région de calme et de pureté, véritable patrie de l’idéal.

Après avoir longtemps contemplé ce que je m’attendais si peu à voir, il me fut impossible, en y réfléchissant, de ne pas reconnaître que les peuples modernes, par suite d’un développement qui sera, si l’on veut, une supériorité, portent dans les arts, dans les lettres, dans tous les ouvrages d’imagination, une complication morale qui pourrait bien n’être pas ce qu’il y a de plus poétique au monde. L’art tend toujours parmi nous à faire prédominer exclusivement l’expression. Les sujets religieux eux-mêmes, d’ailleurs si favorables à la peinture, manquent, si j’ose dire, d’une certaine tranquillité. A l’exception peut-être de la Vierge et de l’enfant Jésus (et c’est peut-être pour cette raison que ce sujet si simple a plus qu’aucun autre captivé l’imagination des plus grands maîtres), il est peu de scènes sacrées qui ne mettent aux prises les sentimens les plus opposés ou les plus violens. La souffrance et la résignation, l’espérance triomphant de la douleur, l’étonnement et la pitié, l’exaltation, le courage, la colère y jouent constamment un rôle dramatique. Les maux du corps y sont aux prises avec les vertus de l’âme. Tout y est contrainte et combat, tout y rappelle la lutte, triste fond de la nature et de la vie. Une préoccupation constante des misères de notre existence a donné au génie moderne je ne sais quoi de souffrant et de maladif qui ajoute aux ressources de l’art, mais qui lui ôte un peu de sa sublimité. L’art s’attriste et ne s’élève pas toujours au contact de nos idées d’humilité sur le compte de la nature humaine.

On ne saurait en effet admettre comme un principe d’esthétique que la beauté réside dans l’expression. Ce sont deux choses tout à fait distinctes, car on dit une belle expression, et si l’expression peut être belle, elle n’est donc pas la beauté. La beauté est une chose en soi, indéfinissable de sa nature, et qui se prête, à titre de qualité, à d’autres choses fort diverses. C’est tour à tour ou à la fois l’expression, la composition, la couleur, la forme qui est belle, et entre toutes ces beautés, s’il fallait choisir, c’est la beauté de la forme qui serait la beauté essentielle dans tous les arts du dessin. A elle seule, elle peut dispenser des autres et classer un ouvrage au plus haut rang. Dans la peinture, la forme et avec elle la couleur suffisent et au-delà pour faire un chef-d’œuvre. Que serait le reste en effet sans la forme et la couleur?

La beauté de la forme pure suffit à la statuaire, et voilà pourquoi, dans la statuaire, l’antiquité n’a pas d’égale. La Victoire bresciane, qui n’est, dit-on, qu’une reproduction d’un type connu, appartient