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méthode psychologique, abandonnée ou dédaignée en Allemagne, et qui est à mes yeux la source unique de toute vraie lumière, en suivant les instincts héréditaires du génie national, considéré particulièrement à l’époque la plus illustre de sa grandeur passée, et dans ce qui fait aujourd’hui en quelque sorte l’âme des temps nouveaux, je veux dire les principes de la révolution de 1789.

Tel est mon dessein bien arrêté : mon enseignement ne se ressentira point du voyage que je viens de faire. Je le reprendrai où je l’ai laissé, l’agrandissant et le perfectionnant sans cesse, mais sans en changer le caractère, de plus en plus spiritualiste dans la théorie, éclectique dans l’histoire, et par-dessus tout libéral et français.

Voilà pour les autres; mais pour moi-même, avant de quitter l’Allemagne, je veux employer les dernières heures que j’y dois passer à mettre un peu d’ordre dans mes souvenirs, à tâcher de reconnaître quel résultat net et précis laisse dans mon esprit ce rapide commerce avec tant d’hommes distingués, et quelle instruction j’en puis tirer pour la direction intérieure de mes études et de mes pensées.

Je reviens donc sur toutes les conversations intéressantes que, depuis mon entrée en Allemagne, j’ai dérobées en passant et pour ainsi dire tumultueusement traversées; j’essaie de m’en rendre compte dans le silence de la réflexion. Et en déchirant les voiles dont la pensée allemande semble prendre plaisir à s’envelopper, comme pour se cacher à elle-même la vue des abîmes où elle se précipite, trop français pour me payer de mots, déjà trop versé dans l’histoire pour m’en laisser imposer par l’apparence et ne pas reconnaître les mêmes opinions sous des formes différentes, j’éprouve un étonnement douloureux de voir l’Allemagne, cette Allemagne si fameuse par ses travaux théologiques et philosophiques, s’agiter dans un cercle de doctrines suspectes qui peuvent éblouir un moment, mais non pas retenir un esprit bien fait.

Avant tout, je dois, je veux adresser un grand et sincère remerciement à l’Allemagne : elle m’a dégoûté à jamais de l’exégèse théologique, dans laquelle en France j’avais commencé à m’engager.

De bonne heure, étant encore élève de l’École normale, ma jeune piété, ma passion pour la langue de Platon et d’Homère, et l’exemple de M. Gueroult, directeur de l’école, m’avaient fait entreprendre sur les pères de l’église grecque ce qu’il avait lui-même si admirablement accompli sur les œuvres de Pline le naturaliste : une traduction de morceaux choisis de chacun de ces pères, qui pût donner une idée vraie de leur doctrine et de leur talent. Un peu plus tard, plusieurs de mes camarades de l’École normale ayant bien voulu s’associer à mes travaux, nous tînmes chez moi pendant quelque temps des conférences où nous examinions et discutions ensemble