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Prenons le christianisme tel qu’il est sorti du concile de Nicée, avec le dogme arrêté et achevé de la Trinité ; acceptons ce dogme en lui-même, sans en rechercher l’histoire, la formation, l’origine. Partons de la défaite de la doctrine séduisante, mais superficielle, d’Arius, de la victoire de saint Athanase, du Dieu triple et un que Platon a pressenti, que saint Augustin, saint Hilaire, saint Anselme, Bossuet et Leibnitz ont établi avec une certitude égale aux yeux de la raison comme aux yeux de la foi.

D’ailleurs, dans quel chaos est tombée la théologie en Allemagne ! Les abus de la critique sont ici partout. Il n’est plus permis de parler d’un roi de Rome. On a supprimé la personne d’Homère ; il n’y a plus que des Homérides. On ôte à Platon ses plus certains, ses plus célèbres dialogues, les Lois, par exemple. Et qui donc est l’auteur des Lois, je vous prie ? De même en théologie il y a comme une émulation d’exégèse transcendante, et c’est à qui mettra en avant sur le Nouveau et sur l’Ancien Testament les conjectures les plus paradoxales. Il est bien décidé que la Genèse a été composée très tard, après la captivité de Babylone et les longues communications avec les Mèdes et les Perses ; les Évangiles sont tout au plus de la fin du second siècle ; parce qu’en effet saint Paul est le plus grand personnage du christianisme primitif, on s’occupe de saint Paul plus que de Jésus-Christ, et il s’en faut bien peu que Jésus-Christ ne soit un pur mythe, un grand nom comme celui d’Homère[1]. Je n’ai pas encore rencontré deux théologiens qui s’accordent. Du haut de leur science hébraïque et orientale que je ne puis contrôler, tous s’attaquent, tous s’accusent des plus grandes erreurs. Dans ce combat confus, les chances de triomphe sont pour le rationalisme, car le rationalisme sait parfaitement ce qu’il veut ; mais ce qu’il veut est-il raisonnable ?

L’objet que se proposent les rationalistes est de bannir le surnaturel du christianisme, comme si une religion ne se distinguait pas d’un système philosophique précisément en tant qu’elle admet une donnée surnaturelle et au-dessus de toute controverse humaine, tandis que la philosophie ne cherche que des vérités naturelles à l’aide de la seule lumière naturelle ! Messieurs les rationalistes ne se doutent pas qu’ils font en sens contraire la même entreprise que les méthodistes et les ultra-catholiques, deux sortes de personnages qui se battent sur tout le reste, mais s’entendent à merveille pour proscrire et étouffer la philosophie, en s’efforçant de la réduire à la religion. Par un travers opposé et semblable, le rationalisme tend à

  1. C’est de cette disposition toujours croissante qu’est sorti en 1835 le livre de M. Strauss, qui a dit le dernier mot et divulgué le secret de l’exégèse allemande.