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tions où il avait suffi autrefois d’une livre d’argent ou d’une pièce de monnaie renfermant une quantité fixe de ce précieux métal, il en fallut au moins trois désormais[1]. A Paris, la quantité de blé que nous appelons aujourd’hui un hectolitre se payait, avant les voyages de Christophe Colomb, de 12 à 15 grammes pesant d’argent (c’est le métal renfermé dans la somme de 2 fr. 67 c. à 3 fr. 33 c). Cette même quantité valut désormais pour le moins de 45 à 50 grammes, soit le métal contenu dans 10 ou 11 fr. et plus de notre monnaie. Pour l’or, le changement, tout en étant marqué, resta moindre que pour l’argent.

Après s’être arrêté pendant une certaine période, et même après avoir fait place pendant un certain laps de temps à un mouvement ascensionnel, le mouvement descendant de la valeur des métaux précieux, ainsi que l’élévation des prix qui en était la traduction, reprit son cours sous l’influence de causes semblables aux approches de la fin du XVIIIe siècle, sans cependant égaler en intensité ni en étendue, à beaucoup près, ce qui s’était vu après la mise en grande exploitation des mines du continent américain. C’est ainsi que pendant la première moitié du XIXe siècle la valeur de l’argent semble être tombée au sixième de ce qu’elle était avant la découverte de l’Amérique, si on la rapporte à celle du blé, qu’on est convenu, assez hypothétiquement il faut le dire, de considérer en moyenne comme un terme fixe. L’hectolitre s’est vendu moyennement, pendant ce demi-siècle, à Paris, environ 20 francs, ou 90 grammes d’argent.

Aujourd’hui nous paraissons destinés à avoir, comme nos pères d’il y a trois siècles, le spectacle ou, pour mieux dire, la secousse et la crise de l’enchérissement universel; plusieurs personnes croient même que le phénomène est déjà en pleine activité. Seulement ce n’est pas à l’égard des deux métaux précieux qu’il se révélerait. Pour un seul des deux, l’or, des gisemens nouveaux d’une vaste étendue et d’une grande richesse relative ont été découverts successivement. En Californie, l’année même où la domination d’un peuple industrieux, rempli d’énergie et d’intelligence, y eut remplacé l’apathique autorité d’une poignée de moines ignorans qu’y entretenait le Mexique, d’admirables mines d’or furent trouvées sur les rives des cours d’eau principaux, et, aussitôt reconnues, furent exploitées avec vi-

  1. Je n’ai pas besoin de dire qu’en assignant cette progression de 1 à 3, je suppose que toutes choses fussent égales d’ailleurs, je veux dire que les marchandises diverses fussent dans la même abondance par rapport à la demande et produites dans les mêmes conditions qu’auparavant. Pour une marchandise qui serait devenue relativement plus abondante et dont la production aurait reçu de grands perfectionnemens, il y aurait eu une cause de diminution de prix, et cette cause aurait balancé dans une certaine mesure l’enchérissement causé par la baisse de valeur des métaux dont la monnaie est faite.