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C’est la ville sainte vers laquelle les anciens dominateurs et tyrans du pays tournaient toujours leurs regards, et vers laquelle ils ont immédiatement dirigé leur marche. En ce moment encore, on dit

que les Indiens restés fidèles à l’Angleterre ne pensent qu’avec douleur au châtiment réservé à leur cité religieuse, et qu’ils disent à leurs officiers : « Épargnez Delhi ! » À quoi les Anglais répondent avec rage : « Épargner Delhi ! Oui, nous en épargnerons une pierre ; nous la laisserons pour montrer la place où fut Delhi, et nous passerons la charrue sur les ruines de ses palais et de ses temples… » tandis que d’autres disent, plus altérés encore de vengeance : « Non, nous n’en garderons pas même une pierre ; nous sèmerons du sel sur cette ville maudite, et, comme de Sodome et de Gomorrhe, on en

cherchera vainement la trace. » Les Anglais auront à juger, quand ils auront repris Delhi, s’il sera de leur intérêt d’exécuter ces sévères menaces ; peut-être trouveront-ils à la fois, et plus politique et plus facile d’installer à Delhi même le siège de leur gouvernement, et après avoir supprimé cet ignoble fétiche d’empereur qu’ils y

avaient conservé, de le remplacer par un préfet militaire, et de planter la croix avec le sabre sur toutes les mosquées.

Car il paraît qu’il y a encore un empereur de l’Inde, une espèce de mannequin que les Anglais laissent assis ou accroupi sur un simulacre de trône, et auquel ils paient encore, sans doute pour la dernière fois, une pension de 4 millions de francs. Les pensions que le gouvernement de l’Inde paie ainsi à des princes dépossédés se montent à environ 25 millions. Le triste héritier de l’empire des Mogols est actuellement dans la position d’un « empereur malgré

lui, » et on raconte de lui et de sa cour des scènes qui figureraient convenablement dans l’Ours et le Pacha. À coup sûr, il aurait préféré la jouissance paisible et satisfaite de son palais, de sa pension et de ses femmes, aux dangereuses grandeurs qui lui ont été imposées ; mais les révoltés avaient besoin de lui pour drapeau et se sont emparés sans cérémonie de son nom et de sa personne. Jamais sans doute le métier de roi ne lui avait été aussi dur ; on le force de sortir au soleil, et on lui tire aux oreilles des coups de fusil qui le font sauter comme si on lui jetait des pétards dans les jambes. Un journal indien a publié une lettre fort curieuse d’un indigène renfermé dans Delhi, et qui dit : « On a pris les princes pour en faire des officiers, les pauvres malheureux ! On les force quelquefois à sortir hors de la ville, et au soleil ; ils tremblent de tous leurs membres quand ils entendent les canons et les fusils. Ils ne savent pas commander ; leurs soldats se moquent d’eux… Le roi envoie des bonbons aux troupes qui tiennent la campagne… La cour, les femmes et les princes regrettent leurs bons jours perdus, et regardent comme