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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/617

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un grand malheur l’arrivée des insurgés. Les princes ne peuvent pas même comprendre les cipayes sans interprètes. Les boulets détruisent beaucoup de maisons dans la ville ; les dalles de marbre de l’appartement du roi sont brisées. Le roi a des peurs affreuses quand une bombe éclate dans le palais et que les princes viennent lui en montrer les morceaux. » Et voilà la dynastie de Shahabaam avec laquelle on parle en Europe de reconstruire un empire indien !

Quoi que ce fut cependant, c’était un drapeau, le symbole de la religion et de la tradition. Les mahométans de l’Inde n’ont jamais renoncé à ressaisir leur ancienne domination ; chaque jour, dans les mosquées, ils offraient publiquement des prières pour le rétablissement du roi de Delhi sur le trône de ses ancêtres, et les Anglais ne s’en inquiétaient pas. La masse de correspondances qui remplit depuis deux mois les journaux anglais jette progressivement le jour dans ces ténèbres séculaires. Les mahométans ne pouvaient pas se soulever seuls, il leur fallait la coopération des Hindous ; or les Hindous n’avaient gardé de la conquête et de la domination musulmane que des souvenirs indélébiles d’oppression, de cruauté et de massacre. Jamais les Hindous ne se seraient révoltés, si on ne leur avait fait croire que les Anglais voulaient les convertir par la force, et c’est cette idée, jetée au milieu d’eux avec une habileté profonde, qui leur a mis les armes à la main.

On a pu voir par les proclamations que les chefs insurgés ont adressées aux populations avec quel art cette crainte a été exploitée. Il est dit dans celle des officiers de l’armée de Delhi : « Il est bien connu que les Anglais avaient le mauvais dessein de détruire la religion de l’armée hindoue et de convertir le peuple par force au christianisme. C’est pourquoi, et seulement à cause de la religion, nous nous sommes unis avec le peuple, et après avoir tué tous les infidèles, nous avons rétabli la dynastie de Delhi… Il est nécessaire que les Hindous et les musulmans soient unis dans cette lutte… Copiez cette proclamation, et affichez-la partout où vous pourrez… » Dans tous les appels faits aux Hindous pour les entraîner à la révolte, il faut remarquer un trait particulier : toujours il leur est dit que les Anglais veulent les convertir par force ou par fraude. Ce n’est pas la prédication qu’ils redoutent ; tous les témoignages s’accordent au contraire pour reconnaître chez les Hindous une très grande tolérance spéculative et même une certaine prédilection pour la controverse théologique, tant qu’elle se borne à l’emploi de la force morale. C’est ce qu’a très bien signalé M. Disraeli, quand il a dit dans la chambre des communes : « La population hindoue en général, et à l’exception des musulmans, reçoit une éducation qui la dispose singulièrement à la recherche théologique. Il n’y a pas de peuple qui