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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/622

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gène. Jamais sans doute il n’y avait eu dans l’Inde une insurrection aussi formidable que celle qui vient d’éclater ; mais les Anglais y avaient eu cependant à réprimer des tentatives qui auraient dû leur servir de leçon. Le plus illustre des généraux contemporains de Wellington, Charles Napier, eut à dompter, il y a quelques années, une révolte de plusieurs régimens du Bengale, et il le fut avec l’aide des Ghourkas, une race de montagnards qui aujourd’hui encore est très utile aux Anglais. La politique traditionnelle de l’Angleterre dans l’Inde a été de combattre les différentes populations les unes par les autres, et cette politique n’est pas de son invention dans l’histoire, car elle est aussi ancienne que la maxime : diviser pour régner. C’est une vérité, et non pas un paradoxe, que plus les Anglais ont agrandi leur domination dans l’Inde, plus ils l’ont affaiblie. Leurs hommes d’état les plus sagaces le comprenaient parfaitement, et ils protestaient vainement contre cette extension progressive et fatale de territoire que les conquérans eux-mêmes subissaient plus qu’ils ne la cherchaient. Il y a trente ans qu’un des oracles de l’Inde, sir Thomas Munro, écrivait : « Quand même nous pourrions soumettre l’Inde tout entière à notre domination, il est douteux que, soit pour les indigènes, soit pour nous, ce changement fût désirable. Un des effets de cette conquête serait que l’armée indienne, n’ayant plus à combattre des voisins belliqueux, perdrait graduellement sa discipline, que les troupes indigènes auraient le loisir de sentir leur propre force, et, faute d’autre emploi, la tourneraient contre leurs maîtres européens… » Un autre Anglais connaissant parfaitement l’Inde, sir Henry Russell, disait aussi : « Le danger que nous avons le plus à redouter est sous nos pieds. Une révolte bien menée de nos sujets indigènes, ou un grand mécontentement de nos troupes indigènes, voilà l’événement qui menace le plus probablement notre puissance, et la sphère de ce danger est nécessairement agrandie par chaque nouvelle adjonction de territoire. L’accroissement de nos sujets, plus encore de nos troupes indigènes, augmente, non pas notre force, mais notre faiblesse. Entre eux et nous, il ne peut y avoir échange de sentimens. Nous serons toujours des étrangers, et l’objet de la haine et de la jalousie que ne cesse jamais d’inspirer une domination étrangère. » Ces avertissemens n’empêchèrent pourtant pas le dernier gouverneur-général de l’Inde, lord Dalhousie, de pousser à toute extrémité le système d’annexion, et seulement sous son administration la domination anglaise s’augmenta de treize royaumes ou états indiens comprenant un territoire plus grand que celui de la Grande-Bretagne.

Nous accumulons ici les témoignages des Anglais les plus éclairés et les plus compétens, parce qu’ils ont plus d’autorité que tout ce