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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/623

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que nous pourrions dire, et entre tous il n’en est pas de plus éclatant que ceux du héros de l’Inde, Charles Napier. C’est lui qui disait il n’y a pas plus de quatre ans, et après avoir réprimé la tentative d’insurrection militaire que nous rappelions tout à l’heure : « Une révolte des cipayes est le danger le plus formidable dont soit menacé notre empire indien. Le gouverneur-général a traité cette tentative de rébellion très légèrement,… après qu’elle avait été réprimée ; mais lui et ceux qui pensent comme lui s’y connaissent bien peu. Les serviteurs les plus habiles et les plus expérimentés de la compagnie regardent la révolte militaire comme un des plus grands dangers de l’Inde, un danger qui peut éclater d’une manière inattendue, et qui, si on ne fait pas attention aux premiers symptômes, ébranlera dans ses fondemens la domination de l’Angleterre. » Dans ces circonstances critiques, le général Napier avait pris sur lui de licencier les régimens rebelles et de les remplacer, comme nous l’avons dit, par des montagnards ghourkas. Lord Dalhousie, alors gouverneur-général, se formalisa de n’avoir pas été consulté, et l’irascible et bouillant Napier donna sa démission et s’en retourna en Angleterre. Il écrivit à son vieux général, au duc de Wellington, pour lui donner l’explication de sa conduite, et il lui disait : « C’était une grande crise, et il fallait des mesures immédiates… Lord Dalhousie dit que j’aurais dû consulter le conseil suprême de Calcutta. Mylord, quand il y avait 40,000 hommes couvant la révolte, un grand nombre en révolte ouverte, 60,000 Sickhs armés tout prêts à se soulever, est-ce que je pouvais perdre cinq semaines à consulter le conseil de Calcutta ? Et quelle espèce d’avis ces messieurs pouvaient-ils me donner dans un pareil moment ?… » Napier quitta l’Inde en secouant sur elle la poussière de ses bottes ; il rentra en Angleterre le cœur plein d’un fiel qu’il épancha en flots d’amertume et d’éloquence. Il faut lire dans ses Mémoires, publiés par son frère, l’illustre auteur de l’Histoire de la Guerre péninsulaire, les critiques sanglantes qu’il infligeait à l’organisation militaire et administrative de l’Inde. Il prédisait ouvertement la catastrophe qui vient de fondre sur l’empire anglais, et il disait : « Après tout, ce n’est pas mon affaire ; je serai mort quand ce que je prévois arrivera, mais cela arrivera. J’écrirais bien ce que je dis là si la compagnie voulait en profiter, mais elle ne le fera pas, elle prendra tout de moi en mauvaise part, et je ne veux pas jouer le rôle de Cassandre pour faire rire les directeurs. » En des paroles plus élevées encore et plus solennelles, le vieux duc de Wellington, déplorant le délabrement dans lequel était tombée l’organisation militaire de son pays, et faisant allusion à des dangers qui ne venaient pas de l’Orient, disait : « Je suis arrivé à la soixante-dix-sep-