Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De telles paroles font passer comme un courant d’air pur à travers les événemens sinistres dont nous nous occupons ici. Mais que l’on se figure l’Inde arrachée demain à la domination anglaise, croit-on qu’il en sortira quelque chose de semblable à l’Amérique ? Ce serait comme si l’on ouvrait toutes les cages du Jardin des Plantes pour en lâcher dans le monde toutes les bêtes féroces.

Nous n’hésitons pas à dire que si l’Angleterre venait à perdre l’Inde, ce serait un plus grand malheur pour les Indiens que pour les Anglais, ce serait une calamité pour le genre humain. Les Anglais sont en Asie les représentans de la civilisation et des principes d’humanité, et si, par l’effort violent et soudain dont nous sommes aujourd’hui les témoins, les peuples de l’Inde échappaient à la domination de leurs maîtres actuels, ce ne serait que pour retomber sous le joug et sous le sabre de quelques tyrans sanguinaires et dans toutes les horreurs de la barbarie. Les Anglais ont été en réalité les libérateurs des Indiens ; ils ont aboli dans l’Inde le règne des brigands pour y substituer le droit et la loi ; ils y exercent le rôle de grands justiciers. Depuis une longue série de siècles, l’histoire de l’Inde n’était qu’une suite de massacres et d’exterminations. C’est la conquête anglaise qui a clos cette ère de sang, et sans vouloir faire du gouvernement des Anglais le modèle de toutes les vertus, on peut dire qu’il a été le plus humain, le plus doux et le plus juste que les Indiens eussent jamais connu. Les Anglais ont fertilisé l’Inde ; ils y ont fait des routes, des chemins de fer ; ils y ont établi l’ordre. Leur plus grande erreur, c’est d’avoir cru trop tôt qu’ils y avaient créé un peuple. Ils ont donné aux indigènes des libertés qu’ils n’étaient pas de force à porter. Il en arrive ce qui est toujours arrivé en pareil cas, le triomphe de la barbarie, le règne de la force aveugle et brutale.

Les Anglais avaient donné aux Indiens toutes les libertés de la métropole, jusqu’à la liberté de la presse. Et il ne faut pas croire qu’ils l’aient donnée en aveugles ; ils savaient très bien ce qu’ils faisaient: ils savaient qu’ils fournissaient à des ennemis possibles une arme dangereuse. Mais la liberté de la presse est une institution anglaise, et les Anglais, à leur éternel honneur, se font un devoir d’implanter sur toute la surface du globe les institutions anglaises. Un homme de beaucoup d’esprit, le peintre Haydon[1], disait : « Partout où vont les Anglais, ils portent avec eux trois institutions, — le jury, les courses de chevaux et la peinture de portrait. » Les courses se font dans l’Inde absolument comme à Epsom ou à Chantilly ; la peinture du portrait doit y être inoculée aussi, nous n’en doutons pas, de même

  1. Voyez sur le peintre Haydon la Revue du 15 août 1855.