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il est one-sided, comme on dit chez nos voisins; mais il est piquant, et il ne le serait certainement pas s’il ne provoquait, malgré qu’on en ait, le désir d’examiner à fond cette popularité contestée à lord Carlisle. Qu’on le fasse, cet examen, et l’on pourra dire ensuite en toute sûreté de conscience si l’écrivain radical, égaré par la passion de parti, — M. Whitty passionné! — a manqué de justice et de sincérité.

Au début de la guerre d’Orient, ce peintre inexorable se place tour à tour devant deux des figures que les événemens d’alors mettaient subitement en relief : lord Stratford de Redcliffe et lord Hardinge, le principal agent diplomatique et le principal organisateur des forces militaires du royaume-uni. Le premier de ces portraits lui est une occasion de railler la profonde ignorance du peuple anglais sur ses intérêts à l’étranger, et la réserve calculée avec laquelle le gouvernement aristocratique, — en dépit des vains semblans de la discussion parlementaire, — entretient cette heureuse ignorance: « La chambre des communes a le privilège de poser toutes les questions qu’il lui convient. Le foreign secretary a le privilège de n’y jamais répondre, et bien que la chambre ait le droit, garanti par la constitution, de provoquer des explications catégoriques sur les négociations terminées, un ministre homme d’esprit a toujours le choix, même alors, de garder par devers lui bien plus qu’il n’en révèle, — et cela « dans l’intérêt du service public. » L’opposition, qui se garde bien d’étudier des questions auxquelles en temps ordinaire la masse du public ne prend aucun intérêt, se trouve, au moment de crise, complètement dépourvue de renseignemens, et se voit réduite, pour taquiner le Foreign-Office, à traduire en discours quelques articles ramassés dans les journaux de Paris, Berlin ou Vienne. Aussi la « diplomatie secrète » conserve-t-elle et tout son prestige et toute sa liberté d’action, le fier peuple anglais continuant à s’écrier, selon sa coutume : « Nous sommes la seule nation libre de l’Europe ! » — quitte, si les affaires s’embrouillent, si son honneur lui semble compromis, si son commerce s’effraie, à réunir quelques meetings dont les excentricités égaient les déjeuners de lord Palmerston en vacances et des nobles hôtes réunis dans sa villa champêtre. » On le voit, c’est toujours au fond le même grief, celui par lequel débute le chapitre consacré à lord Hardinge :


« Combien il est malheureux que cet édifice sublime, la constitution anglaise, soit une pure théorie, et, malheur à peu près égal, que les Grands-Bretons[1], en masse, y croient comme à une réalité! Les classes gouver-

  1. Nous laissons subsister cette expression favorite de M. Whitty, qui ajoute une nuance de plus à l’ironie dont il use si volontiers.