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canons ou de munitions, voyant fondre sa petite colonne sous ses yeux, et ne pouvant recevoir que des secours inefficaces, de sorte que la garnison de Lucknow, livrée à elle-même, peut finir par essuyer le sort de tant d’autres Anglais impitoyablement massacrés par les insurgés.

Mais, en dehors de ces épisodes qui ont le Bengale pour théâtre, il restait une question grave : l’insurrection demeurerait-elle circonscrite dans les provinces où elle a pris naissance? Ne s’étendrait-elle pas aux autres présidences, à Madras et à Bombay? Il paraît désormais certain que l’incendie s’étend. Des corps de l’armée de Bombay se sont soulevés ou ont refusé de marcher contre les insurgés du Bengale. L’armée de Madras est ébranlée, et n’attend peut-être qu’une occasion. La défection s’accomplit plus lentement ici, mais elle est imminente, et les troupes natives deviennent un embarras plus qu’une ressource, outre que les officiers anglais qui les commandent peuvent être exposés à chaque instant à être égorgés. La situation de l’Inde aurait donc une gravité croissante, s’il n’y avait d’un autre côté une compensation, peu sûre à la vérité, que les Anglais croient apercevoir : c’est que jusqu’ici les populations sont restées étrangères à l’insurrection, qui a conservé un caractère purement militaire. Sans diminuer la valeur de ce fait, on peut se demander s’il durera, et ce ne serait pas sans raison qu’on se poserait cette question, puisque les correspondances annoncent déjà que dans les campagnes des soulèvemens ont eu lieu, que des planteurs anglais ont été massacrés, et que l’insurrection militaire devient par degrés une Véritable révolution dans le Bengale. Quoi qu’il en soit, l’impression générale reste grave et sombre pour le moment; elle est plus sinistre encore dans l’Inde même, on le conçoit, et, comme il arrive toujours, on cherche un coupable sur qui faire peser la responsabilité des événemens. Ce coupable, ce n’est pas aujourd’hui le gouvernement comme à l’époque de la guerre de Crimée; c’est la compagnie des Indes. A Calcutta, la chambre de commerce et les habitans européens se sont réunis pour adresser une pétition au parlement britannique. Les pétitionnaires demandent que le gouvernement de la compagnie soit remplacé par le gouvernement direct de la reine dans l’empire indien, qu’un conseil législatif libre, adapté aux besoins du pays et compatible avec la suprématie anglaise, soit établi. Le bruit de tous ces mécontentemens a eu récemment son écho dans la dernière réunion de la cour des directeurs de la compagnie. Un membre a demandé qu’on supprimât la pension faite au marquis de Dalhousie, en se fondant sur ce que le système suivi par l’ancien gouverneur-général des Indes était la cause de l’insurrection actuelle. Un autre membre de la cour a proposé de donner une représentation aux populations indiennes, et il a fini par montrer dans les barbaries commises par les insurgés une fatale conséquence des injustices dont ils ont été victimes. On s’est arrangé pour mettre fin à ces motions; plusieurs membres se sont retirés, et on n’a plus été en nombre pour délibérer. La suppression actuelle de la compagnie des Indes ne désarmerait pas l’insurrection du Bengale. Toutes les discussions possibles sur le système de politique qui a été suivi ne changeraient pas le cours des événemens, et ne seraient pas un remède au mal. Ce sont des questions qui s’agiteront sans nul doute, qui conduiront inévitablement à de profondes modifications dans le gouvernement de l’Inde; mais en attendant il s’agit de vaincre, de reprendre possession de ce sol où