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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/697

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rable. D’ailleurs, comme on l’a dit, il n’est pas un esprit éminent à qui Gustave Planche n’ait payé de justes hommages; seulement il avait l’intelligence ainsi faite qu’il voulait savoir ce qu’il admirait, et même en présence de ces esprits supérieurs qu’il jugeait, il n’abdiquait pas sa liberté. Il était, si l’on veut, dogmatique et rude parfois; il ne connaissait pas l’art d’être rogue et complaisant. Quant à ceux qui croyaient diminuer le mâle écrivain en disant qu’il manquait de puissance pour s’élever jusqu’à la création spontanée, qu’il n’était qu’un critique, ceux-là n’oubliaient qu’une chose : c’est que la critique, elle aussi, est une création. Gustave Planche certes créait lorsqu’il écrivait un morceau d’une psychologie pénétrante comme l’étude sur l’Adolphe de Benjamin Constant. Mais en outre la critique par elle-même est une création permanente lorsqu’elle raffermit les notions ébranlées, lorsqu’elle démêle les rapports intimes et mystérieux de la morale et de l’art, quand elle ravive dans les esprits l’instinct du vrai et du beau. Elle est de plus une lumière et un guide, et son œuvre est une œuvre féconde lorsqu’au milieu de toutes les suggestions matérielles elle maintient l’ascendant et la puissance du spiritualisme dans l’art, comme l’a fait Gustave Planche jusqu’au dernier moment. L’autorité que l’écrivain avait acquise, et qui n’a fait que s’accroître, tenait justement à cet instinct supérieur de l’art qu’il possédait, à la fermeté de sa raison, à la précision de ses jugemens, à la sévérité indépendante de sa conscience, et cette sévérité, il l’avait pour lui-même comme pour les autres, car s’il est facile d’aller chercher dans cette vie des bizarreries ou des faiblesses, dont l’homme souffrait seul d’ailleurs, on y trouverait aussi des actes de désintéressement et de délicatesse morale dont il ne se faisait pas même un mérite.

Où donc la perte de Gustave Planche serait-elle plus vivement sentie que dans cette Revue? Il y a vécu, on peut dire, depuis le premier instant. C’est ici qu’a paru presque tout ce qu’il a écrit. C’est une erreur de croire qu’il peut être indifférent pour les écrivains de mener une existence errante, de s’asseoir à tous les foyers, de changer d’asile au gré du caprice et de l’intérêt du moment. Le plus souvent la vie littéraire perd sa dignité et son prix dans cette dispersion. Pour les esprits sérieux, il y a en quelque sorte une famille littéraire, un foyer préféré, où l’on a sa place et où l’on reste. La Revue était cette famille, ce foyer pour Gustave Planche; il y avait la liberté, l’indépendance et la place due à son talent. Une seule fois il l’a quittée, et ce fut pour revenir bien vite de son propre mouvement. Un romancier avait eu l’idée de créer un recueil littéraire; il attira Gustave Planche, espérant secrètement sans doute trouver en lui un critique qui commenterait ses œuvres et démontrerait la supériorité de son génie. Il se trompait singulièrement, la louange ne vint pas, et les rapports ne furent pas longs, car il n’était pas dans l’habitude du critique de trahir sa pensée. Gustave Planche revint ici, et il y est resté jusqu’à sa mort, défendant invariablement les mêmes idées, et ne cessant de mener cette vie active du critique, sauf pendant quelques années consacrées à un voyage en Italie. Il avait conservé jusqu’au bout toute la force de son intelligence, et c’est dans la maturité de son talent qu’il est mort, au moment où la sévérité de sa parole eût été plus utile que jamais au milieu des défaillances des esprits et des déviations de l’art. Nous avons accompagné l’autre jour ce simple et triste cortège d’un écrivain