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exercé par droit divin implique l’idée de devoirs, elle ennoblit la domination, elle radoucit. Ainsi nous voilà sortis de l’idée restreinte et du sens étroit que Ton donne au mot de légitimité dans la polémique ordinaire; l’espace s’étend; l’opinion peut prendre le large, et c’est ce qu’elle va faire, comme on le verra bientôt.

Si la légitimité est applicable à diverses formes de gouvernement, pourvu qu’elles conviennent au pays et « à la logique de la création, » elle peut aussi, dans les pays qui demandent la monarchie héréditaire, passer d’une dynastie à une autre : transition délicate pour l’auteur, mais il s’en expliquera progressivement. « Il est possible que Dieu ait changé de dessein sur la dynastie qu’il avait élevée; il est possible que nos révolutions n’aient été permises qu’en vue d’une heureuse transformation, et que dans un ou deux siècles nos descendans n’aient qu’à se féliciter des changemens qui ont fait notre douleur; il est possible enfin qu’une monarchie nouvelle soit appelée à une œuvre non moins glorieuse, non moins providentielle que celle de la monarchie ancienne. » Mais alors, s’écrieront les légitimistes, le principe traditionnel défendu par nous était donc une erreur? Si pareille chose est possible, l’ancienne dynastie existant encore, notre droit divin indéfectible est donc une utopie, et nous ne pouvons plus soutenir la discussion contre nos adversaires? A cela M. Muller répond par cette comparaison : « Il est possible que tous les propriétaires soient quelque jour dépouillés par une commotion sociale, que la propriété se reconstitue ensuite dans d’autres mains, et qu’une longue période de calme et de prospérité succède à ce bouleversement. Le principe de la propriété en sera-t-il moins vrai pour cela? » Les révolutions renversent quelquefois les établissemens humains, mais ne changent point les conditions de l’ordre par lequel ces établissemens existent. « Dans mille ans comme aujourd’hui, la propriété sera obligée de s’appuyer sur le respect de la loi divine, et dans mille ans encore la monarchie héréditaire n’offrira de force et de sécurité aux peuples que par la fidèle observation du principe de légitime succession. » Ainsi, selon l’auteur, les personnes changent, mais les choses restent, et une dynastie nouvelle, si elle remplit les conditions qui manifestent une origine divine, sera légitime et de droit divin comme la première.

Quelles sont donc ces conditions? Hugues Capet a été élu roi au détriment de Charles de Lorraine, son oncle; il fut la source de l’antique légitimité française. Sa race s’est légitimée par la consécration du temps, par le prestige des services rendus, et a fini ainsi par se placer au-dessus de toute discussion d’origine, par s’imposer comme la condition essentielle de l’existence nationale; car il ne suffit pas de choisir une famille et de dire : Elle régnera sur nous à perpétuité ! il faut que cette famille se justifie par son passé, qu’elle s’environne du prestige d’une grande tradition. La France avait rencontré toutes ces conditions dans la maison de Bourbon. Il est vrai que, malgré la grande tradition, la monarchie est tombée trois fois en cinquante ans; mais qu’est-ce qui ne tombe pas en ce monde? D’ailleurs le principe, quoique nécessaire, ne peut pas tout faire à lui seul; « il a besoin, en certaines circonstances, de rencontrer dans son représentant des qualités qui malheureusement ne se trouvent pas toujours. » Serait-ce une allusion? On pourrait le croire, surtout en lisant ensuite cette longue citation d’un discours que