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tienne le même prestige de renommée qu’aux noms des Brutus et des Caton ; mais l’historien et le politique trouveraient facilement dans cette petite cité des hommes d’état égaux en mérite et en nombre pour le moins à tout ce qu’a produit aucune des vastes monarchies du continent européen. Aujourd’hui une déchéance irrévocable a atteint Venise peut-être et certainement sa vieille noblesse, considérée comme tribu de gouvernement. Le dernier doge Manin avait raison de s’évanouir, lorsqu’on vertu du traité de Campo-Formio, il lui fallut se mettre à genoux pour prêter serment à l’empereur d’Autriche, car il abdiquait à la fois pour sa caste et pour sa patrie. L’avenir nous apprendra si la patrie peut renaître ; la caste ne renaîtra pas.

Elle n’a laissé que ses palais, qui trop souvent ressemblent à des ruines ou à des tombeaux. Quand la monarchie absolue n’y a pas installé des bureaux, quand les parvenus de l’époque ou les artistes enrichis n’en ont pas fait des maisons de plaisance, quand des princes en disponibilité n’y ont pas cherché la retraite que les Stuarts trouvèrent à Florence, enfin quand des industriels n’y ont pas ouvert d’auberge, il est rare que ces palais soient restés intacts et investis d’un luxe digne des noms fameux qui les décorent. En parcourant en gondole ce canal qu’ils bordent de leurs nobles façades, on croit par momens remonter cette voie romaine qu’on appelait la voie sépulcrale. Aussi le plus sage en passant cette revue me paraît-il de déposer tout souvenir historique, toute méditation sur le cours des choses humaines, et, délaissant la philosophie pour l’art, de n’avoir que des yeux, de ne réfléchir que sur ses sensations. À cette condition, on souscrira avec plus d’indifférence à l’opinion générale qui désigne comme le diamant des palais du Canal Grande la casa d’Oro, c’est-à-dire la maison de ville de Mlle Taglioni.

Ce choix suppose d’ailleurs que, selon nos dénominations hasardées, on a pris son parti de préférer le genre moresque au genre romain. Comme cependant il y a dans les deux genres de très belles choses, il ne faut pas être exclusif, et je recommanderai dans le premier, ou dans le style vénitien du XVe siècle, les palais Cavalli, Foscari, Pisani, Farsetti et Loredan. Dans le second, dans le genre que l’école de Palladio eût préféré, on peut distinguer les palais Contarini, Rezzonico, Grassi, Grimani, Manin et Pesaro. On comprend bien que cette classification n’est pas tranchée, et que chaque classe ne se compose point de monumens strictement conformes à un type absolu. Ceux de la première sont souvent du XVe siècle, époque où aucun purisme ne dominait en architecture, et assurément le palais Foscari, ouvrage de Barthélemi Bon, qui restaura le palais ducal dans le goût de la renaissance, n’a point exactement, malgré certaines analogies, la même tournure que les palais Farsetti et Loredan, qu’on reporte au XIIe siècle. De même on ne peut réunir confusément le palais