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Grimani, de Sanmicheli, le palais Contarini, de Scamozzi, le palais Manin, de Sansovino, dans le cadre d’une identité forcée. Je crois que le premier des trois est le plus beau de cette classe, à laquelle on pourrait rattacher par son élégance sévère le palais lombard qui porte le nom de Corner Spinelli. Il y avait autrefois des cabinets de tableaux dans ces palais, la plupart sont dispersés : le musée Contarini est à l’Académie des Beaux-Arts; la célèbre Famille de Darius, de Paul Véronèse, a quitté pour Londres le palais Pisani.

Voilà bien des noms; c’est à effrayer le lecteur. Ce serait achever de l’accabler que d’énumérer ceux des églises où j’ai trouvé quelque chose à noter. De celles, en grand nombre, où je suis entré, plus d’une n’a que des dehors insignifians; presque toutes sont au dedans belles ou curieuses par l’ensemble ou par les détails. Saint-Sébastien, par exemple, est des plus médiocres, c’est une église de village; mais Paul Véronèse y est enterré, avec cette épitaphe : Pavlo Caliaro Veron, pictori celeberrimo filii et Benedict. Frater pientiss. et sibi poslerisque f. c. Les murs sont revêtus de ses ouvrages; jusqu’aux volets de l’orgue sont peints de sa main. Saint-Zacharie au contraire est une église charmante, avec sa façade lombarde, ses pleins-cintres, ses sveltes colonnes à l’intérieur, et ses peintures murales, qui la recouvrent au dedans presque tout entière. Seulement elle n’a rien de supérieur et qui se grave distinctement dans la pensée. San-Stefano ne serait point remarqué en France ou en Allemagne; mais c’est une église gothique, d’un gothique élégant sans être orné, et par là même elle produit ici beaucoup d’effet : on ne l’oublie pas. L’église des Scalzi (carmes déchaux) et celle du Rosaire sont les plus gaies églises du monde. Pour l’effet, on dirait le style Pompadour appliqué à l’architecture sacrée. Des incrustations en marbre de couleur sur un fond blanc de marbre ou de stuc tapissent, comme une tenture d’étoffe imprimée, l’église du Rosaire, donnée par Manin aux jésuites. Un luxe maniéré gâte les bonnes parties de ces jolis ouvrages de décadence.

Une attention plus sérieuse est due à Santa-Maria-Gloriosa de’ Frari, qui passe, comme Saint-Antoine de Padoue, pour l’ouvrage de Nicolas de Pise. C’est un édifice en brique, d’un gothique simple; mais la profusion des décorations monumentales qu’il contient est extraordinaire. Les sculptures y sont prodiguées. On y remarque, sans beaucoup les admirer, deux grands ouvrages modernes, le tombeau de Titien et celui de Canova, l’un meilleur que l’autre. Par une disposition peu usitée, le jubé qui ferme le chœur est en avant du transept, ouvert lui-même de tous les côtés, et qui sépare largement le chœur et le maître-autel. La sacristie, remplie de tableaux, est vantée surtout pour un ouvrage de Bellini, une Vierge adorée par deux saints. Bellini ou Jean Bellin, comme presque tous les maî-