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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/718

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tres, a sa Vierge, modèle réel ou idéal dont il répète sans cesse le portrait. Celui-ci, comme tableau, est peut-être son meilleur. Il en a fait d’autres dont la tête a plus de charme, celle par exemple dont M. Gautier s’est déclaré passionnément épris. Du reste, malgré l’attrait de la Vierge de la sacristie, rien ne peut lutter avec la madone qu’on voit dans l’église connue sous le nom de pala del Pesaro, parce qu’elle est le tableau d’un autel dédié par cette famille. La Vierge, sur un trône, présente à saint Pierre, saint George et saint François le Sauveur, qui semble préférer le dernier. Les donateurs sont à genoux. C’est un des plus beaux Titiens que j’aie vus.

Près des Frari est la Scuola ou confrérie de Saint-Roch. Ses fondateurs doivent avoir été bien riches, si l’on en juge par l’ornementation de la vaste salle d’entrée, du double escalier, de la salle dell’ Àlbergo, et de la chapelle au premier étage. Les plafonds chargés de moulures et les boiseries sculptées, à personnages de grandeur naturelle, ne font place qu’à d’innombrables peintures du Tintoret. On ne peut sans étonnement contempler ces témoignages d’une fécondité d’invention et d’une hardiesse d’exécution peut-être sans pareilles. Malheureusement les tons chauds poussent au noir; la force arrive à l’exagération, l’abondance à la confusion. Ces défauts sont saillans dans une immense Crucifixion où l’on dirait que les nations ont été convoquées sur le Calvaire; mais partout sont des traces de génie.

On peut opposer aux Frari Saint-Jean et Paul, près duquel la place de la Scuola de Saint-Roch est remplie par la Scuola de Saint-Marc. Celle-ci, convertie en hôpital, est remarquable surtout par sa façade, que Martin Lombardo a couverte de plaques de marbre, de bas-reliefs, de statues d’animaux qui semblent garder un palais. En face se dresse une statue équestre de Barthélemi Colleoni couvert de son armure, par André Verrocchio. C’est la seconde statue équestre exécutée en Italie après celle du Donatello à Padoue. Elle est, comme celle-ci, vive et animée; elle exprime la vigueur et l’audace. Le portail gothique de San-Zanipolo (traduction vénitienne de Jean et Paul) s’ouvre sur un musée religieux de tombeaux historiques. Le plus intéressant est celui de Morosini; le plus beau, celui du doge André Vendramin. La chapelle du Rosaire contient une Bataille de Lépante, du Tintoret, exemple rare de la présence dans une église italienne d’un tableau représentant un événement politique, quoique de tous les ex voto le plus solennel et le plus légitime soit celui d’une nation qui remercie Dieu d’une victoire. Un autel latéral a pour retable la Mort de saint Pierre martyr, tableau de Titien qu’on a classé le troisième après la Transfiguration et le Saint Jérôme. M. Fox, quand il le vit au Louvre, s’exaltait en le voyant, et M. Fox avait le sentiment des arts. Un des maîtres de l’école fran-