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Le sens commun n’est pas tout le génie des arts, mais il y a sa place, et dans certains sujets il peut dominer sans rien coûter à la force de la pensée et à la puissance de l’émotion. La vérité n’est pas en lutte nécessaire avec l’imagination, et elle a des ressources dont les peintres longtemps se sont volontairement privés. Ce n’est pas que des chefs-d’œuvre de peinture historique ne figurent dans les fastes de l’art. Il faudrait, pour l’oublier, oublier les merveilles du Vatican, les chambres de Raphaël, Constantin, Attila, saint Léon, Charlemagne; mais, traitant des sujets fort anciens, Raphaël se donnait beaucoup de liberté, et il cherchait dans le passé des allusions au présent. C’est Léon X qui arrête Attila, c’est Jules II qui chasse Héliodore du temple et qui accomplit le miracle de Bolsène; c’est par un souvenir classique qu’en peignant l’incendie du Borgo-Vecchio, Raphaël a représenté l’incendie de Troie. Toutes ces fantaisies étaient permises, et n’ont certes pas nui à ses chefs-d’œuvre; mais elles auraient moins réussi, s’il eût traité des sujets plus récens, de ceux qu’il faut rendre et non feindre. Ainsi le gouvernement de Venise a commandé à ses plus grands peintres des ouvrages destinés à célébrer sa puissance, à immortaliser sa gloire; mais les nombreuses et vastes machines qui parent ses édifices publics, et qui immortalisent les souvenirs de la ligue de Cambrai ou de la bataille de Lépante, ne sont souvent que des compositions allégoriques où figurent des saints et des divinités poétiques, où aucun personnage n’est reconnaissable, où l’événement ne l’est pas davantage, étant figuré par des circonstances incompatibles avec toute réalité possible. On ne saurait proscrire absolument cette peinture symbolique qui célèbre la pensée de l’événement, au lieu de retracer l’événement même. Elle convient dans certaines occasions, surtout quand elle fait partie d’un ensemble de décoration, et sa place est surtout à la voûte des dômes ou aux plafonds. N’est-il pas regrettable pourtant que la peinture imitative du vrai ait été si peu appliquée aux grands sujets, et presque toujours resserrée dans le cadre étroit des tableaux de chevalet? Comment des maîtres qui ont presque tous excellé dans le portrait, qui l’ont traité avec tant de vérité et même d’exactitude dans les détails, n’ont-ils pas eu l’idée de le placer dans le cadre d’une grande scène, de faire enfin le portrait des événemens? N’aurait-on pas désiré que Van-Dyck, qui a peint si souvent et si heureusement Charles Ier, le représentât devant ses juges, ou nous montrât Cromwell gagnant une bataille ou dissolvant le long parlement? Mais supposez qu’il eût assez vécu pour le faire, y aurait-il songé? Ne voudrait-on pas que Rubens eût mêlé un peu moins de mythologie au mariage de Henri IV et à la naissance de Louis XIII? Et combien nous aimerions aujourd’hui à pouvoir contempler quelques-unes