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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/768

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Pendant cette conversation, Bussy s’était établi à l’hôtel Bennett, et tout d’abord prenait langue avant d’annoncer ses projets. Il alla consulter un avocat auquel, avant toutes choses, il promit mille dollars, et cinq mille dans le cas où on lui rendrait sa propriété; puis il exposa son affaire. Pendant qu’il parlait, l’avocat faisait ses réflexions. — Voilà une belle cause, pensait-il, et qui peut faire ma réputation et ma fortune; malheureusement j’aurai contre moi toute la ville, et je vais devenir horriblement impopulaire. A toutes les élections, je serai rejeté. On dira : C’est ce Mason, l’avocat du Français, celui qui a voulu dépouiller ses concitoyens. Mon avenir politique est perdu. Je n’entrerai ni dans la législature de l’état ni dans le congrès. La patrie sera privée à jamais de mes services. De plus, je me fais de puissans ennemis, entre autres ce Samuel Butterfly, cet hypocrite coquin qui dispose de tout à Scioto-Town. Il dépensera cent mille dollars, s’il le faut, pour me ruiner. J’ai femme et enfans. Il faut vivre. Ma foi, au diable le Français et ses réclamations inopportunes! qu’il prenne un autre avocat. Je m’en lave les mains comme Pilate... D’un autre côté, mille dollars, c’est une belle somme. C’est le prix d’un an de travail. Après tout, je ne m’engage pas à gagner son procès, mais à le plaider. Que je le plaide bien ou mal, peu importe, les mille dollars sont à moi... (Oui mais je me connais : je suis naturellement éloquent, je m’oublierai, j’aurai des distractions, j’attendrirai les juges, et j’aurai Samuel Butterfly et toute la ville de Scioto sur les bras pendant le reste de ma vie. Voyons, n’y a-t-il pas moyen de ne perdre ni les mille dollars, ni la popularité, ni l’amitié de Samuel Butterfly?... J’y suis. Eh ! eh ! manger à deux râteliers, c’est le moyen d’être bien nourri.

Par suite de ces réflexions, maître Mason assura Bussy que sa cause était imperdable, qu’il n’obtiendrait pas à la vérité la restitution de sa forêt, puisqu’elle était devenue le sol même de la ville, mais qu’il se faisait fort d’obtenir une indemnité de plus de cinq cent mille dollars. — Ayez confiance en moi, dit-il en terminant, je vous garantis le gain de votre procès.

Bussy le remercia et sortit. Maître Mason courut aussitôt chez le redouté Samuel Butterfly et lui offrit ses services. Celui-ci loua son zèle, le remercia de sa trahison et le pria d’entretenir Bussy dans son erreur et de l’emmener pendant quelque jours à la campagne, pour donner à ses adversaires le temps de soulever contre lui le peuple de la ville. L’avocat y consentit, invita Bussy à chasser le daim avec lui, et tous deux partirent le soir même.

Le lendemain, le Scioto-Herald contenait l’annonce suivante :

« Perversité inouïe ! Impudens mensonges d’un Français! Faux titres de propriété de Scioto-Town ! ! !

« Tous les jours, les plus infâmes scélérats de l’Europe viennent