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chercher un asile dans notre belle et généreuse patrie. Ils apportent avec eux la contagion pestilentielle des pays où règne le despotisme. L’un de ces misérables, un Français du nom de Bussy, s’est présenté hier chez M. Mason, avocat, et a produit de prétendus titres de propriété d’après lesquels le sol même sur lequel Scioto-Town est construit aurait été, dit-il, vendu à son père. Ce faussaire impudent n’a pas craint de contrefaire le sceau sacré du gouvernement fédéral. Nous espérons que tous les bons citoyens s’uniront pour chasser honteusement, comme il le mérite, ce misérable, opprobre de la France et de la libre Amérique. Faut-il le fouetter, ou le pendre, ou le rouler tout nu dans du goudron? C’est ce que la sagesse des citoyens décidera. »

Cet article, rédigé par le vieux Samuel, fut répété avec des commentaires encore plus violens par tous les autres journaux. Ce fut un déchaînement universel. La plupart des habitans de Scioto se souciaient très peu de la légitimité de leurs titres. Aux États-Unis, tout possesseur, quelle que soit l’origine de la possession, se regarde comme le véritable propriétaire. Ce principe, utile dans les premiers temps de la colonisation et dans les territoires mal peuplés, est d’une application fort dangereuse dans les états riches et cultivés, comme l’Ohio. Les citoyens de Scioto regardaient Bussy, quel que fût son titre, comme un spoliateur. Samuel Butterfly profita de l’indignation publique pour convoquer un meeting sur l’esplanade qui domine Scioto-Town. Cette ville si nouvelle est dans une situation admirable. Adossée à un demi-cercle de collines boisées au bas desquelles coule le Red-River, elle s’étend d’abord dans la plaine que traverse le Scioto et s’élève en amphithéâtre au-delà du Red-River. Un pont jeté sur ce ruisseau unit la ville basse à la ville haute. Hors de la ville, et dominant l’embouchure du Red-River et du Scioto, s’élève un plateau assez étendu d’où l’on aperçoit toute la ville et une partie de la vallée du Scioto : c’est là que les miliciens font l’exercice à feu; c’est aussi le lieu où se tiennent les assemblées populaires.

Toute la ville fut fidèle au rendez-vous donné par le vieux Samuel. La curiosité publique était excitée par le langage des journaux, et nulle part autant qu’aux États-Unis les citoyens n’ont le goût des affaires publiques. C’est la seule récréation des Yankees. Plus de quinze mille personnes, hommes, femmes et enfans étant réunis sur l’esplanade, Samuel Butterfly s’avança sur la plate-forme, et dit d’une voix grave et solennelle :


« Ladies et gentlemen,

« Si jamais nation puissante a été comblée depuis sa naissance des bénédictions de la divine Providence, c’est assurément la libre, grande et généreuse nation américaine. Pas une année, depuis tant