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pour recevoir une des moitiés du câble, le vaisseau l’Agamemnon, qui avait porté le pavillon de l’amiral sir Charles Lyons dans la Mer-Noire au début de la guerre de Crimée; les États-Unis envoyèrent, pour être chargée de l’autre moitié, la neuve et magnifique frégate Niagara. Les deux navires se dépouillèrent de leurs formidables engins de guerre; construits pour les terribles luttes de la mer, ils allaient se rencontrer pour une œuvre toute pacifique. Les deux moitiés du câble furent amenées dans les chambres qu’on leur avait préparées, au moyen de poulies portées sur des bateaux alignés jusqu’auprès des vaisseaux à l’ancre: à mesure que le câble entrait, on l’enroulait avec un soin extrême autour d’un axe vertical, de façon que les tours se recouvrissent très exactement et que rien ne pût mettre obstacle au déroulement. Il fallut un mois entier pour charger une moitié du câble dans l’Agamemnon; la forme de ce navire permit de l’y loger en un rouleau unique, dont la partie supérieure formait un vrai plancher circulaire de 45 pieds de diamètre. Dans le Niagara, on fut obligé de diviser le câble en trois rouleaux, et il fallut même démolir en partie l’intérieur de la neuve et brillante frégate.

Pendant qu’on préparait avec une si étonnante rapidité le câble du télégraphe atlantique, on se préoccupait aussi de perfectionner les appareils ordinairement employés pour immerger les câbles sous-marins. La principale difficulté de cette opération consiste à empêcher la corde métallique de se dérouler trop rapidement et de s’amasser au fond de la mer en longs replis. Jusqu’à présent, voici de quelle façon on a essayé de modérer la vitesse du câble pendant sa descente : en arrivant sur le pont du navire, il vient s’enrouler plusieurs fois autour d’un tambour ou cylindre qu’il oblige à tourner avec lui; il passe successivement autour de plusieurs tambours analogues placés sur son trajet; arrivé à l’arrière du vaisseau, il glisse sur un fort rail en fer et descend enfin dans la mer. La friction que le câble, fortement tendu par le poids de toute la partie suspendue entre le navire et le fond de l’eau, exerce sur les tambours, autour desquels il s’enroule, et sur le rail en fer, l’empêche de se dévider trop vite, et il est loisible d’augmenter le frottement en rendant le mouvement des tambours de plus en plus difficile, au moyen de freins en bois dur pareils à ceux qui arrêtent en peu d’instans les roues des wagons lancés à grande vitesse sur nos chemins de fer. Toutes ces dispositions étaient encore imparfaites : ainsi il arrivait souvent que, le câble descendant avec une extrême rapidité, les différens tours se mêlaient sur les tambours et s’usaient en frottant les uns contre les autres; le câble, fortement échauffé par la friction, se détériorait en passant sur le rail de fer, bien qu’on fût constamment occupé à l’arroser avec de l’eau froide. Pour opérer l’immersion du