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de choisir les régions les moins profondes de la mer. S’il a été impossible de modérer convenablement la vitesse du câble atlantique à une profondeur de deux mille brasses, on peut juger de ce qui arriverait, si l’on s’aventurait dans les régions où la sonde peut descendre à quatre ou cinq mille brasses.

La ligne de l’Irlande à Terre-Neuve est la seule qui nous paraisse bien choisie. La nature elle-même assure à ceux qui rapprocheront ces deux îles le monopole absolu des communications entre les États-Unis et l’Europe. Plus au nord, sur la côte du Groenland, les glaces sont trop à redouter, et la mer atteint une plus grande profondeur ; plus au sud, on a proposé d’atteindre l’Amérique par les Açores, mais ce projet n’a aucune chance de réussite. Il serait peut-être possible de réunir les Açores à Terre-Neuve, mais la compagnie anglo-américaine du télégraphe atlantique possède un privilège exclusif sur les côtes de cette île. On serait donc obligé d’aller des Açores à la Nouvelle-Angleterre, et de franchir l’immense vallée marine où se précipitent les eaux du gulfstream, qui à ces latitudes atteint une incroyable profondeur. C’est dans le golfe du Mexique et dans la mer des Antilles que l’Océan-Atlantique a la moindre profondeur. Si jamais les Américains s’emparent de Cuba, ils ne manqueront certainement pas d’unir cette île d’une part à la Floride et de l’autre à l’isthme de Panama. Une ligne de communication plus difficile à établir serait celle qui joindrait l’Amérique du Sud à l’Europe par l’île Fernando Noronha, l’île Saint-Paul, les îles du Cap-Vert et les Canaries. Il est pourtant permis d’espérer qu’un jour on accomplira ce gigantesque travail : sur ce long trajet, la profondeur de la mer ne dépasse trois mille brasses que dans une zone assez limitée, entre le cap Saint-Roque et les îles du Cap-Vert, et se maintient au-dessous de deux mille brasses sur les deux tiers de la route.

Dans l’autre hémisphère, aussitôt qu’une ligne télégraphique réunira l’Angleterre à l’Inde, on parle déjà de la prolonger dans les possessions hollandaises et même jusque dans l’Australie et dans la Nouvelle-Zélande. Lorsque toutes ces merveilles seront achevées, quand sur le continent américain le fil télégraphique qui doit franchir les Montagnes-Rocheuses atteindra la Californie, l’habitant de San-Francisco pourra correspondre avec celui de Sydney ou de Melbourne. Le jour où la volonté de l’homme pourra, avec une prestigieuse rapidité, faire presque le tour entier du globe, n’aura-t-il pas le droit d’être fier et de sentir plus vivement sa propre grandeur ? Ne sentira-t-il pas aussi d’autant mieux sa petitesse en voyant d’une façon si nouvelle et si saisissante combien est étroit cet empire qui lui est attribué, et dont les bornes lui renverront en un temps si court l’écho de sa propre pensée ?


Auguste Laugel.