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Marlborough-House pourraient croire que l’encadreur s’est trompé quelquefois.

L’excès du mal devait amener une réaction. Elle ne s’est pas fait attendre. De même qu’on a vu l’ascétisme des anachorètes succéder aux orgies païennes, les artistes anglais paraissent aujourd’hui se rejeter violemment du côté opposé au précipice où les coloristes faciles les avaient poussés. On m’assure que la réforme de l’école est due surtout à un critique contemporain, M. Ruskin. A la faveur d’un style bizarre parfois jusqu’à l’extravagance, mais toujours spirituel, il a mis en circulation quelques idées saines et même pratiques. Exprimées dans un style plus simple, avec moins de hauteur, peut-être eussent-elles passé inaperçues. Quoi qu’il en soit, l’exposition générale de 1855 nous a révélé une école anglaise, déjà formée, déjà disciplinée, marchant hardiment dans la voie qu’elle vient de s’ouvrir, et, chose qui mérite d’être remarquée aujourd’hui, elle semble animée d’une conviction profonde. Je voudrais en pouvoir dire autant de nos artistes.

Les peintres de cette nouvelle école qui obtient tous les jours plus de faveur ont pris ou reçu le nom de préraphaëlites. Cela veut dire, si je suis bien informé, qu’ils se proposent de suivre la manière des maîtres antérieurs à Raphaël. En effet Van-Eyck, Hemling, Masaccio, Giotto, voilà pour eux les grands peintres après lesquels la décadence a commencé. L’imitation exacte de la nature, tel est le mot d’ordre des novateurs. Si vous faites un portrait, ce n’est point assez, vous diront-ils, de bien copier la figure et l’expression de votre modèle; vous devez encore copier tout aussi fidèlement ses bottes, et si elles sont ressemelées, vous aurez soin de marquer ce travail du cordonnier. Sous ce rapport, la nouvelle école anglaise ressemble à celle de nos réalistes, mais au fond les préraphaélites et les réalistes ne s’entendraient que sur un point : c’est à renier presque tous leurs devanciers. Les réalistes sont venus protester contre les habitudes académiques, contre les poses de théâtre, les sujets tirés de la mythologie, l’imitation de la statuaire antique. Ils ont voulu prendre la nature sur le fait et l’ont trouvée chez les commissionnaires du coin de leur rue. En Angleterre, il n’y avait ni académie ni mythologie à combattre. Jamais on n’y avait connu la peinture qu’on nomme classique. La seule convention qui fût à renverser, c’était un coloris d’atelier, une méthode de barbouillage. Il faut remarquer encore que c’est à l’instigation des littérateurs que les préraphaélites ont levé leur étendard, tandis que nos réalistes sont des artistes qui se révoltent contre les jugemens des gens de lettres.

Les préraphaélites donc ont de grandes prétentions à la poésie,