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échelonnés ou en tas, — M. Agassiz les considère comme la preuve certaine de l’existence d’un ancien glacier ; dans toutes les vallées des Alpes, à travers la grande vallée de la Suisse et sur les flancs du Jura, il rechercha avec patience les restes de moraines ; il trouva en beaucoup de lieux des roches striées qui rappellent exactement celles qu’on observe sous les glaciers actuels. On voit des blocs erratiques, descendus des sommités les plus élevées des Alpes, sur les versans du Jura, jusqu’à une hauteur de 1,000 mètres environ, et Léopold de Buch a depuis longtemps décrit les blocs de ce genre qu’on rencontre aux environs de Neuchâtel. M. Agassiz expliqua tous ces phénomènes par l’action d’anciens glaciers qui auraient couvert tout l’espace compris entre les Alpes et la muraille naturelle du Jura. Cette hypothèse, à l’appui de laquelle il déploya, ainsi que tous ses partisans, outre un zèle et une ardeur extrêmes, une incontestable habileté, ne fut pas universellement admise, du moins avec les conséquences absolues qu’on y attacha.

On ne peut nier que dans la longue suite des siècles il n’y ait eu quelques oscillations dans la marche et l’extension des glaciers. M. de Venetz a donné la preuve que, du XIe au XVe siècle, ceux des Alpes avaient reculé, et qu’ils ont depuis envahi des cols qui alors étaient libres. Depuis longtemps, M. Elie de Beaumont a indiqué qu’à une certaine époque les glaciers descendaient beaucoup plus bas dans la vallée de Chamouni et le Val-Ferret. « Peut-être, écrivait-il à ce sujet, le gulfslream, qui réchauffe aujourd’hui l’Europe occidentale, n’existait-il pas encore pendant les dernières périodes géologiques qui ont précédé la nôtre. » Si aujourd’hui le courant chaud cessait de se diriger sur notre continent, il est certain que les glaciers viendraient rapidement combler toutes les vallées des Alpes ; mais pourraient-ils s’étendre jusqu’au Jura lui-même ? Il est permis d’en douter. Suivant M. Elie de Beaumont, on ne connaît dans les Alpes aucun glacier qui, sur l’étendue d’une lieue, se meuve sur une pente inférieure à 3 degrés. Les pentes des fleuves, à cause de l’extrême mobilité de l’eau, sont infiniment plus faibles ; mais les fleuves de glace ne peuvent avancer que sur un fond sensiblement incliné. On a cité quelques exemples de glaciers se mouvant sur une surface tout à fait unie, ou même remontant une pente ; mais ce ne sont là que des accidens purement locaux. C’est ainsi qu’un fleuve franchit des barres et des rochers, et que le lit n’en présente pas moins, malgré ces irrégularités, une inclinaison générale. Il en est de même pour les glaciers. On sait aujourd’hui que la dilatation qu’éprouve l’eau en se congelant ne peut servir à en expliquer le mouvement. Plus on sera porté à les considérer comme des masses qui s’étendent en vertu de leur propre poids, plus il sera nécessaire