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les yeux sur ce vieil édifice, il sera bien étonné de tous les abus qu’on y cultive avec succès.

A l’Opéra-Comique, les nouveautés intéressantes ne sont guère plus nombreuses que sur la grande scène de l’Opéra. Nous avons à mentionner un opéra en un acte, la Clé des Champs, qui a été représenté le 20 mai, et dont la musique gracieuse est de M. Deffès, qui avait déjà composé pour ce même théâtre l’Anneau d’argent. Un ouvrage en trois actes de M. Reber, les Dames capitaines, représenté le 3 juin, n’a pas fourni non plus une longue carrière, et s’en est allé où s’en vont les roses d’antan et les feuilles jaunies. Tout récemment, le 30 septembre, on a donné à ce même théâtre deux actes de la composition de M. Ferdinand Poise, qui s’intitulent le Roi don Pedro. La scène se passe en Espagne sous le règne de don Pedro le Justicier, qui y joue un rôle fort singulier, dont le beau travail de M. Mérimée sur cette partie de l’histoire de la Péninsule ne nous avait pas donné l’idée. La pièce n’est en soi ni bonne ni mauvaise, et n’a d’autre mérite que d’avoir fourni au compositeur l’occasion d’écrire une partition facile, si ce n’est originale: M. Poise est un élève de ce pauvre Adolphe Adam, qui parlait de l’art de Mozart et de Rossini avec le même sans-façon qu’il apportait dans la musique de ses vaudevilles[1]. Connu déjà par plusieurs petits méfaits de ce genre, tels que Bonsoir, voisin, et les Charmeurs, deux opérettes du Théâtre-Lyrique, M. Poise semble avoir voulu donner une meilleure idée de son savoir-faire, et il y a réussi, car la musique de son nouvel ouvrage révèle un homme de talent qui connaît la scène et ses exigences, auxquelles il sait se conformer. Parmi les morceaux que nous avons remarqués, nous citerons les couplets encadrés dans le chœur de l’introduction, qui ne manque pas de franchise, et surtout la romance que chante le roi don Pedro, nuit tutélaire, qui se termine en un trio plus distingué qu’on n’était en droit de l’attendre de M. Poise. Au second acte, il y a encore un trio bouffe, il est mort, qui est fort bien tourné, et d’une gaieté qui échappe à la trivialité, vers laquelle le talent de l’auteur de Don Pedro penche trop volontiers. En résumé, le nouvel ouvrage de M. Poise lui donne le droit d’aspirer à mieux. L’exécution de Don Pedro est comme la pièce, elle s’écoute sans transport et sans dépit. Mais voulez-vous assister à un spectacle tout à fait charmant, allez entendre Joconde avec M. Faure, précédé de la Fête du Village voisin, de Boïeldieu, où M. Stockhausen donne des preuves évidentes qu’il est le meilleur chanteur que nous ayons à Paris. Les beaux esprits s’étonnent que la direction du théâtre de l’Opéra-Comique ait un goût si prononcé pour la reprise des petits chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire. Qu’ils s’en prennent donc au public, qui plus que jamais semble rechercher le naturel, la grâce et la musique qui se fait avec le cœur et non pas avec des pointes de vaudevilliste. Cependant la reprise toute récente de Jeannot et Colin du même compositeur a été moins heureuse que celle de Joconde. M. Stockhausen n’est pas encore assez comédien et n’a pas la voix merveilleuse de Martin

  1. On vient de publier un petit volume de M. Adolphe Adam : Souvenirs d’un Musicien, qui est quelque chose d’incroyable. L’auteur du Chalet et du Postillon de Longjumeau y donne des leçons de morale, de convenance, de goût et même de style à l’auteur de l’Emile et des Confessions!