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pour affronter avec succès les difficultés du rôle du marquis de la Jeannotière. Il y a été fort empêtré, et dans le charmant trio du premier acte il n’a pu en faire ressortir les contrastes piquans. D’ailleurs ni Mlle Lhéritier ni Mlle Henrion ne peuvent prêter à cette musique d’un naturel si charmant l’accent de vérité naïve qui en a fait le succès en 1814.

La salle Ventadour, après avoir donné refuge pendant tout le mois de septembre à la troupe de comédiens italiens où brillait l’admirable talent de Salvini, vient de se rouvrir pour la musique et les chanteurs de M. Verdi. La chute est grande de l’Othello de Shakspeare, joué par Salvini, qui s’est révélé à nous comme le plus grand tragédien qu’il y ait sans doute en Europe, à l’art grossier et popolano du Trovatore. Plus on entend cette musique, violente et pauvre tout à la fois, et moins on la goûte. Qui aurait jamais dit que l’Italie tomberait assez bas pour s’engouer jusqu’à la folie d’informes mélodrames coloriés par un musicien lombard, qui s’est fait l’imitateur maladroit d’un art étranger dont la science lui est inaccessible? Heureusement que l’Italie renferme, comme la boîte de Pandore, bien des remèdes au mal qui la ronge. Un pays qui dans sa décadence incontestable produit encore des talens d’un ordre aussi élevé que Mme Ristori et M. Salvini peut espérer de renaître un jour et de ressaisir la domination qu’il a exercée pendant tant de siècles sur l’admiration des hommes. Quoi qu’il en soit de cette renaissance intellectuelle de l’Italie, que nous appelons de tous nos vœux, l’exécution du Trovatore, par lequel le théâtre Ventadour a inauguré la saison musicale le 2 octobre, n’a présenté aucun incident qui mérite d’être signalé, si ce n’est que la cloche qui intervient dans la grande scène du miserere n’est pas en harmonie parfaite avec le ton de l’orchestre. Il s’en faut même d’au moins cinq comma, pour parler la langue rigoureuse des acousticiens. Du reste, M. Mario, Mme Steffenone et M. Graziani sont des artistes trop connus déjà du public parisien pour que nous ayons besoin d’analyser de nouveau leurs qualités respectives, entremêlées de graves imperfections. Seulement il nous a paru que M. Graziani, qui n’a jamais été pour nous un foudre de guerre, a perdu quelque chose de la fraîcheur et de la vibration de son organe, seul mérite qu’on ne puisse lui contester; mais il a conservé les mêmes points d’orgue, les mêmes inflexions, avec une intonation douteuse qu’il n’avait pas l’année dernière. Le rôle de la bohémienne Azucena est rempli cette année par Mme Nantier-Didiée, une Française élevée au Conservatoire de Paris sous les auspices de M. Duprez. Nous n’avons rien à dire pour le moment de cette nouvelle acquisition de M. Calzado, si ce n’est que la voix de Mme Nantier-Didiée n’est pas précisément un contralto. Nous attendrons pour apprécier son mérite qu’elle chante autre chose que cette musique de sauvage que Mme Alboni a eu le bon esprit de repousser, comme indigne de son beau talent. Après il Trovatore, qui n’a pas excité cette année des transports d’enthousiasme, le Théâtre-Italien a donné récemment Rigoletto, pour les débuts d’une nouvelle cantatrice qui s’appelle Mlle de Saint-Urbain, un vrai nom de comédie. Mlle de Saint-Urbain est Française comme Mme Nantier-Didiée. Elle a fait ses premières armes, assure--on, au grand théâtre de Saint-Charles, à Naples, où il ne semble pas qu’elle ait pu s’élever au rang suprême d’une diva qui n’a qu’à se montrer pour être adorée. Élève, je crois bien, de M. Alary et ensuite de M. Pierre Marini,