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dans l’armée française, fut fait prisonnier en Russie, puis incorporé dans les Cosaques du Don. En 1815, étant en Belgique dans les rangs des alliés, il déserta, ou plutôt il reprit sa liberté et sa nationalité. Il se maria à Bruxelles, où il tomba dans des hallucinations qui rendirent nécessaire sa translation à Gheel. Il y habite depuis vingt-cinq ans, y exerce avec succès son art, et raisonne fort sainement de toutes choses, sauf qu’il affirme que toutes les nuits le diable entre dans son corps par les talons et s’y loge quelque part, ce qui amène pour conclusion de tous ses discours la demande d’une sonde pour chasser le mauvais génie.

La plupart des artisans, tels que tailleurs, cordonniers, trouvent place dans la petite industrie locale. Les malades originaires de la campagne se livrent aux travaux des jardins et des champs. On a soin de placer autant que possible les ouvriers agricoles dans les fermes. Les fous furieux sont les plus recherchés des paysans, et quelque étrange que cela paraisse, l’explication de cette préférence est facile. La fureur témoigne de l’énergie de l’organisme ; la sève intérieure, physique ou morale, est désordonnée, mais abondante. Dans leurs périodes de calme, les fous furieux sont de vigoureux travailleurs, dont le concours est très profitable au fermier, qui n’a que faire au contraire d’un idiot, d’un paralytique : de tels pensionnaires sont pour lui une charge que rembourse à peine le prix de la pension. Vienne chez les autres le réveil soudain et violent du mal : le cultivateur et sa famille, aidés des passans et des voisins, y ont bientôt mis ordre ; au besoin, ils emploieront les chaînes. L’accès se calme, le fou se remet à un travail qui est la principale force de la ferme, et par l’enchaînement logique qui s’observe dans le bien comme dans le mal ce travail, qui enrichit le fermier, améliore par une énergique et continue diversion le sort du malade, en rendant les accès de plus en plus rares. Les travailleurs aliénés n’ont à réclamer aucun salaire, mais les nourriciers comprennent qu’une rétribution quelconque est un utile stimulant ; ils allouent à leurs pensionnaires une pièce de 50 centimes ou de 1 franc par semaine, un pot de bière, un peu de tabac, suivant l’occurrence. Quelquefois l’intervention paternelle du médecin prescrit ce qui est à faire avec une autorité qui est toujours écoutée.

Les bienfaits du travail ne sont plus méconnus aujourd’hui dans aucun asile ; mais il est très rare que l’organisation de ces établissemens permette de l’y introduire d’une façon quelque peu générale. Pour les hommes manquent les ateliers ; seuls, les jardins, les parcs, quelquefois des champs étroits, se prêtent à l’activité musculaire. C’est un grand progrès, mais encore une rare exception. Même dans ces cas, les occupations sont soumises à une régularité