Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

belge choisit les nourrices de ses enfans. On les reconnaît dans les villes à leur teint frais, à leurs dents blanches, à leur corps droit et bien pris, à leur costume national, dont le riche bonnet de dentelle aux larges rubans tombans compose la pièce d’honneur. Les enfans toujours nombreux, au teint empourpré comme la bruyère, comme elle, fleurissent sur le sable, et réjouissent l’œil du voyageur par leur bonne petite figure franche un peu effarouchée. À une solide santé, l’homme, fortifié par le travail, joint la puissance des muscles. On pourrait dire de lui, suivant une expression arabe, « qu’il est le maître du bras. » Ces qualités physiques, effet combiné du sang, du climat, de la vie rustique et laborieuse, sont relevées par des qualités morales en parfaite harmonie avec la mission sociale, ou, si l’on veut, avec la spécialité médicale que s’est donnée la population de Gheel : bonté naturelle poussée jusqu’au dévouement, calme du caractère comme de la démarche, imperturbable patience, en toute occasion un faire tranquille et mesuré, que le délire le plus aigu d’un aliéné ne parvient pas à troubler.

En un tel peuple, l’esprit, on le pressent, ne doit briller ni par l’éclat ni par la vivacité : il participe à la placidité qui est peinte sur toute la personne. À Gheel toutefois, il tranche sur le fond flamand par un certain tour original qui approche du bizarre et de l’excentrique. S’il fallait prendre à la lettre les épigrammes des communes avoisinantes, même les dictons des tribunaux et de l’administration, on entendrait par les fous de Gheel (Gheelsche zotten) un peu tous les habitans. D’après nos informations, les sages du pays, qui raillent une population vouée au soin de cruelles infirmités, auraient le tort de méconnaître les résultats d’un admirable dévouement. Il paraît en effet bien établi que la folie caractérisée est aussi rare parmi les citoyens de Gheel que partout ailleurs, et les indications contraires qui ont été quelquefois données manquent de vérité. La conscience morale est restée non moins intacte que la raison, et la commune de Gheel ne se signale par aucune inclination particulière au désordre. Les querelles personnelles ou les attentats contre les personnes et les propriétés n’y sont pas plus fréquens qu’ailleurs. La douceur innée du caractère, fortifiée de siècle en siècle par l’exercice d’une industrie (s’il m’est permis d’employer ici ce mot dans un sens favorable) qui exige les allures les plus calmes, est aujourd’hui passée dans le sang des générations, et contribue puissamment à leur honnêteté morale.

Ce qui paraît vrai, ce qui explique sans le justifier le dicton populaire, c’est que le spectacle permanent de toutes les aberrations humaines, suivi de l’extrême indulgence que, par devoir et par habitude, les Gheelois professent pour elles, a un peu adouci en eux