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dans de petites fermes de 2 à 6 hectares sur des landes, et suffiraient, comme l’expérience locale le prouve, à procurer un modeste bien-être à autant de familles d’ouvriers cultivateurs qui recevraient toutes des aliénés pensionnaires.

En pays lointain, l’imitation serait plus difficile, à raison du refus qu’opposeraient sans doute les natifs de Gheel à un déplacement. Leur confiance en eux-mêmes a ses racines dans leur foi à sainte Dymphne ; elle est circonscrite à un certain territoire, elle diminuerait en raison directe de la distance. Tout au moins se trouverait-il, nous en sommes certain, des médecins disposés à se dévouer à cette œuvre de charitable propagande, et ils auraient à dresser d’autres paysans à cette éducation toute nouvelle, si aucun de ceux de Gheel ne voulait émigrer. On trouverait l’emplacement de telles institutions dans les lieux les plus analogues à la Campine, solitaires, calmes, éloignés des rivières et des marais, d’un aspect plus varié si c’était possible, sous un climat tempéré plutôt qu’ardent, au milieu de populations bonnes et simples, douces et religieuses. Entre autres provinces de la France, la Bretagne et l’Auvergne offriraient probablement au sein de leurs vastes bruyères et de leurs, pacages verdoyans, des sites très convenables pour de pareils asiles.

De telles créations sont difficiles, il n’y a pas à le méconnaître, et nous concevons que des administrateurs hésitent devant une initiative qui serait condamnée comme téméraire là où elle pourrait échouer. L’appel doit venir des médecins eux-mêmes, car des établissemens de ce genre reçoivent la vie bien moins des règlemens administratifs que du souffle fécond de l’âme humaine qui s’y attache. Eh attendant, l’importance actuelle de Gheel au point de vue pratique nous paraît incontestable. Cet humble village contient une leçon éloquente dans sa simplicité, de sympathique dévouement envers les plus malheureux de nos frères. Gheel livre aux méditations des médecins et des administrateurs un type un peu brut il est vrai, mais presque complet de traitement rationnel, qui allie à un haut degré la liberté, le travail et les essors affectueux dans une existence où l’autorité des croyances consolantes et par conséquent salutaires se combine avec les influences calmantes de la nature. La science seule, avec ses moyens les plus puissans, y fait trop défaut ; mais si quelques imperfections se glissent encore dans l’œuvre des habitans de Gheel, il doit leur être beaucoup pardonné, parce qu’ils ont beaucoup aimé toute une portion de l’humanité souffrante que le monde dédaigne et repousse.


JULES DUVAL.