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traité de Paris a voulu que les populations roumaines fussent consultées, et les populations ont répondu nettement et ostensiblement à l’appel qui leur était adressé. On s’est efforcé, il est vrai, d’infirmer d’avance l’autorité d’une telle manifestation, en établissant une sorte de solidarité entre l’idée de l’union et les utopies les plus extrêmes. On cherche encore à effrayer l’Europe en représentant les divans élus dans les principautés comme un composé des hommes les plus violens, les plus révolutionnaires, et c’est surtout à l’assemblée de la Valachie que cela s’applique. L’élection de quelques-uns des émigrés de 1848 est le facile prétexte de ces accusations. Sans doute à l’ombre du drapeau de l’union il peut se grouper des passions légitimes ou illégitimes ; — à côté des patriotismes intelligens, il peut y avoir des patriotismes égarés. C’est une erreur notoire pourtant de considérer l’élément révolutionnaire comme prépondérant dans le divan de la Valachie. Les révolutionnaires, malgré tout, ne forment qu’une minorité imperceptible, qui n’est pas plus nombreuse que celle des conservateurs extrêmes. La grande majorité se compose d’hommes libéraux, il est vrai, mais en même temps modérés et sensés. C’est à ces hommes aujourd’hui de contenir leurs délibérations dans les limites d’une sagesse prévoyante et patriotique. Qu’on remarque bien, du reste, que le vœu qui a été exprimé n’implique point une atteinte essentielle aux droits de la Porte. Jusqu’ici, il n’y a qu’une aspiration légitime manifestée avec modération, dans le plein exercice d’un droit, et avec une telle unanimité, qu’il est difficile aux gouvernemens d’Europe de n’en point tenir compte. Sans doute toutes les politiques arriveront au congrès libres et affranchies d’obligations ; seulement elles ne peuvent faire elles-mêmes cet aveu éclatant, que l’appel adressé aux populations roumaines n’était qu’une formalité illusoire.

Mais aujourd’hui quelle influence peut avoir sur cette question des principautés la petite révolution ministérielle qui vient de ramener Rechid-Pacha dans les conseils du sultan ? Quel rapport y a-t-il entre ces deux faits ? Peut-être n’y a-t-il en réalité aucun rapport. L’opinion de la Porte est suffisamment connue ; elle est opposée à l’union, elle l’était précédemment, elle l’est encore maintenant. Rien n’est changé. Ce n’est donc point pour redresser une direction et pour relever une politique que Rechid-Pacha reparaît sur la scène. Ce n’est pas non plus pour panser les blessures de lord Stratford, et par l’influence du représentant de l’Angleterre, qu’il remonte au pouvoir. D’après toutes les apparences, lord Stratford et M. de Prokesch ont été cette fois étrangers à un événement dont ils peuvent se réjouir sans l’avoir provoqué. Au fond, cette crise qui fait reparaître tout à coup Rechid-Pacha n’est qu’une de ces révolutions de palais comme il s’en voit toujours en Turquie. C’est en dehors de la politique que le sultan a trouvé les motifs de la résolution par laquelle il relève son ancien grand-vizir d’une chute profonde et méritée. Si les influences étrangères ont fait et défait des cabinets à Constantinople, ce n’est donc pas le cas aujourd’hui. Sait-on cependant quelle impression en définitive laissent toutes ces capricieuses et obscures l’évoluions de palais ? C’est que la Turquie n’en reste pas moins ce qu’elle était, sans que les conseils sérieux puissent prévaloir sur les combinaisons les plus vulgaires. La réforme est dans les mots, elle n’est point dans les choses. Rechid-Pacha a réussi pendant longtemps à se faire considérer par l’Europe