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comme le représentant des idées de progrès, d’une politique intelligente et libérale. Ayant beaucoup vécu dans l’Occident, il a mis son habileté de Turc à connaître les procédés à l’aide desquels les hommes d’état peuvent se faire au moins pour un moment une certaine renommée, et récemment encore il ne dédaignait pas de correspondre lui-même avec quelques-uns des journaux de l’Allemagne. Malheureusement ce prestige éphémère s’est évanoui, et il n’est plus resté qu’un homme d’état assez équivoque, dont le crédit est usé aux yeux de l’Europe, et qui a fini par se trouver isolé au milieu des Turcs eux-mêmes. Tel est l’homme qu’une faveur du sultan vient de placer une fois de plus à la tête des conseils de l’empire ottoman. Ce n’est pas lui qui sauvera la Turquie, et, à ne considérer que la situation actuelle, on peut dire que sa présence au pouvoir est un fait sans importance au point où est parvenue la question des principautés. C’est dans le congrès et par les conseils de l’Europe que cette question se décidera.

Et maintenant regardez vers l’Inde, cet autre théâtre, de l’un des drames contemporains les plus saisissans et les plus sanglans. Les affaires de l’Angleterre suivent leur cours ; elles viennent d’être marquées par un succès réel, probablement décisif, quoique longtemps attendu, la prise de Delhi. C’est le 20 septembre que la ville a été définitivement enlevée, après six jours de combats d’artillerie et d’assauts qui ont rapproché successivement les Anglais du centre de la place. Il y a plusieurs mois que l’armée anglaise, éprouvée, et décimée d’abord par les maladies, puis lentement renforcée, campait devant l’ancienne capitale de l’empire mogol ; elle y est rentrée le fer à la main après des fatigues et des fléaux cent fois plus redoutables que le feu. Le commandant des troupes, le major-général Wilson, disait, dans un ordre du jour avant la lutte, qu’il n’avait pas besoin de rappeler à ses soldats leurs camarades cruellement massacrés, leurs femmes et leurs enfans égorgés, pour les pousser à un combat à mort. Le mot d’ordre était de ne faire aucun quartier aux rebelles ; les femmes et les enfans devaient seuls être épargnés. Il est assez vraisemblable que les recommandations du général Wilson n’ont pas été oubliées dans cette lutte meurtrière. Quoi qu’il en soit, les troupes britanniques ont repris possession de la ville, et les insurgés ont été obligés de se replier à quelque distance. Ce fantôme de roi créé à Delhi ne paraît avoir pu se sauver lui-même, selon certaines versions, qu’à la faveur d’un déguisement. Voilà donc la citadelle principale de l’insurrection tombée aux mains des Anglais, et la prise de Delhi a d’autant plus, d’importance à ce point de vue, qu’elle relève, aux yeux des Asiatiques le prestige des armes britanniques ; mais en même temps il est certains côtés de cette situation nouvelle qu’il ne faut pas méconnaître. Si les insurgés ont essuyé une sanglante défaite, ils paraissent s’être battus énergiquement et ne semblent pas désorganisés jusqu’ici. S’ils ne sont plus, dans la ville choisie par eux comme le siège d’une révolution, ils ont dû se rejeter dans le reste du pays et accroître sur d’autres points les forces de l’insurrection. S’ils font peu de progrès, s’ils n’avancent pas, ils représentent toujours une force redoutable qu’il est difficile d’atteindre et d’abattre. Quant aux autres parties de l’Inde, la situation est loin de s’éclaircir complètement encore. La citadelle de Lucknow résiste toujours aux insurgés qui l’assiègent, et elle a l’espoir d’être prochainement ravitaillée par le général Havelock,