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sous toutes les formes c’est la vie qui apparaît. M. Michelet n’est-il pas vraiment un des esprits les plus curieux de ce temps ? Il n’a pas le goût des spéculations philosophiques, il a plutôt le goût du monde réel et de ses mystères. Il aime l’histoire qu’il recompose à sa manière, avec un mélange de divination, d’étude et de fantaisie, et voici que depuis quelques années, parcourant l’échelle de la création, passant de l’homme à tous les êtres animés, il s’est fait naturaliste. Il y a quelque temps, il traçait la monographie de l’oiseau, décrivant le génie et les mœurs des frêles habitans de l’air ; aujourd’hui ce n’est plus le monde gracieux et léger des oiseaux que M. Michelet décrit, il descend un degré, et il arrive à l’insecte. L’Insecte ! tel est le titre de son dernier livre, étude bizarre, poétique et originale. M. Michelet est assurément un singulier naturaliste, observant avec son instinct, racontant avec son imagination, rempli de toute sorte de sympathies secrètes et tendres pour les choses qu’il décrit. L’insecte. Vous semble-t-il repoussant de prime abord ? Ce sont des superstitions d’enfant et d’incompréhensibles répugnances. Pénétrez un peu plus profondes ment, vous verrez se dérouler tout un monde inconnu, la plus souvent impalpable, dont on ne s’effraie que parce qu’on ne l’a pas assez étudié. Il y a même un naturaliste qui a proposé de faire entrer les insectes dans l’alimentation publique, car, dans notre amour de la nature, il est à craindre que nous ne finissions par dévorer tous les êtres de la création. M. Michelet tout au mains voit une multitude de choses dans les insectes ; il porte à ces animalcules un évident intérêt, et il les décrit tous, depuis le scarabée, jusqu’aux termites, depuis la fourmi industrieuse jusqu’à l’élégante demoiselle, depuis le moucheron, qui aiguillonne les troupeaux pour secouer leur torpeur dans les temps chauds, jusqu’à l’abeille. L’auteur n’oublie rien, pas même la physionomie de ces petits êtres, qu’il trouve pourtant quelquefois assez indistincte. Si l’on veut savoir ce qu’une imagination brillante et originale peut faire d’un tel sujet, on n’a qu’à lire le récit des expériences et des observations de M. Michelet : vous suivrez les étreintes enflammées de ces deux insectes, le Roméo et la Juliette de l’espèce ; vous assisterez aux noces, aux travaux et même aux guerres civiles des fourmis. Voici à son tour l’araignée qui tisse sa toile et qui se comporte singulièrement avec son mari, réduit au rôle subordonné et humiliant de prince-époux, de mari de la reine, sans compter qu’il est exposé à être dévoré par sa terrible moitié, si la faim parle trop haut Quant à la destination utile d’une infinité de ces petites bêtes, elle n’est pas décrite avec moins de zèle scrupuleux.

Dans cette étude microscopique du monde des insectes, il s’élève cependant des questions graves. Par exemple, est-il vrai que les fourmis aient des esclaves, ainsi, que l’a dit leur historien, Huber ? Chose terrible à supposer qu’il y ait un insecte immoral, machiavélique et pervers, offrant un argument aux partisans de l’esclavage ! Pourtant le fait n’est pas entièrement prouvé, M. Michelet le pense du moins. D’un autre côté, les abeilles forment-elles une monarchie avec un roi ? On l’a cru longtemps ; puis il s’est trouvé que ce roi était une reine, et même cette reine, en définitive, est très subordonnée aux formes légales et constitutionnelles, de sorte que ce serait au fond, un état démocratique. Seulement c’est une élite intelligente, aristocratique, qui gou-