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plus grands services, pour lequel il éprouvait la plus profonde reconnaissance ; se voir méconnu, abandonné par cet homme qui allait opérer son salut ! Jamais Benjamin ne s’était senti aussi malheureux, aussi mécontent de lui-même, et il pensa aussitôt que la terrible sorcière était pour quelque chose dans cette catastrophe. — Au nom de Dieu ! s’écria-t-il enfin lorsque Athanase se fut renfermé dans la grandeur de son dédain, au nom de Dieu ! noble seigneur, ne me traitez pas ainsi. Je suis un étourdi, un imbécile, un fou ; punissez-moi, mais non pas de cette manière. N’ai-je pas promis de vous obéir en toute chose ? n’êtes-vous pas mon maître ? Ne vous suffit-il pas d’ordonner ?

Athanase se sentit je ne dirai pas touché, mais embarrassé. Il avait peut-être été trop loin, plus loin sans doute que cela n’était nécessaire, et reculer coûte toujours, au moins du temps. Il fallait maintenant calmer ce pauvre garçon, signer la paix, sans pourtant reculer d’un pas. — Ne vous désolez pas ainsi, mon jeune ami, dit Athanase d’un air d’indulgente supériorité ; j’ai été si souvent trompé par ceux auxquels j’ai rendu des services, que je suis peut-être trop prompt à voir de l’ingratitude là où je ne devrais reconnaître que de l’ignorance. Si vous êtes réellement disposé à vous laisser conduire et à n’agir dans cette affaire que d’après mes instructions, ce qui est, à ce qu’il me semble, votre devoir envers moi, je ne puis en demander davantage, et je consens à oublier votre entêtement de tout à l’heure. Je ne tiens pas à ces trois mille piastres, que vous me rembourserez quand il vous plaira, et que vous garderez si bon vous semble ; tout ce que je demande, c’est que vous ne les payiez pas à d’autres que moi. Voilà tout. Que Michel ne tire pas profit de son imposture, ni des soupçons qu’il a réussi à vous inspirer sur mon compte, et je suis satisfait.

— Tout ce que vous voudrez, noble effendi, je ferai tout ce que vous m’ordonnerez ; mais, par pitié, ne croyez pas que j’aie conçu des soupçons sur votre compte, ne m’attribuez pas l’intention de vous désobéir.

Convaincu cette fois de la docilité de Benjamin, Athanase l’interrompit : — Parlons affaires, dit-il. Qu’avez-vous fait de vos trois mille piastres ?

— Rien, noble Athanase ; j’ai voulu acheter un cheval, une selle, des couvertures et des armes, mais rien de tout cela ne m’a plu, et l’on m’en demandait cependant des prix extraordinaires.

— Hélas ! mon pauvre ami, on vous a reconnu pour un jeune habitant de la campagne, loyal, ingénu, et on a voulu profiter de votre innocence. Nous arrangerons cela ; vous viendrez avec moi, et nous verrons si ma société ne vous portera pas bonheur.

Le fait est que dès la veille Athanase avait parcouru les bou-