Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place qu’occupait le contino au corps des bersaglieri fut donnée à Mario Tiburzio : le marquis voulut acquitter ainsi la dette de son fils.

Pour terminer l’histoire du brave volontaire dont M. Bersezio a fait en quelque sorte l’idéal du patriote, il nous reste à parler d’un dernier sacrifice qu’il fit peu de temps après à la cause nationale. La campagne de Lombardie durait encore ; le lieutenant Tiburzio commandait un détachement et s’était établi avec ses soldats dans une pauvre métairie, aux environs de Villafranca. Un soir que la plus affreuse tempête grondait au dehors, on entendit le galop d’un cheval que ni les fossés, ni les arbres renversés en travers des chemins, pour mettre obstacle à la marche de l’ennemi, ni les qui vive (chi va là) de la sentinelle placée au pied d’un grand chêne ne pouvaient arrêter. Quelques hommes bravent l’orage, s’avancent, barrent résolument le passage et parviennent à saisir le cheval par la bride. Ils font aussitôt descendre le cavalier et le conduisent dans la salle du rez-de-chaussée. C’est un officier portant ces insignes de fantaisie qu’avaient pris les volontaires romains venus à la suite du général Durando dans les provinces vénètes. Un pantalon blanc, une tunique verte, à collet et paremens rouges, une casquette verte avec bande rouge et liserés blancs, témoignent de son affectation à se parer des trois couleurs nationales. Un grand sabre pend à son côté, et deux pistolets sont à sa ceinture, sans compter ceux qu’il a dans ses fontes.


« Aux premiers qui lui étaient venus en aide, il dit avec ce pur accent auquel on reconnaît un Italien des provinces du centre : — Quel mauvais temps ! Par ma foi, je me croyais perdu.

« Mario le reçut au seuil de la salle du rez-de-chaussée : — C’est le vent qui vous amène ici, signor mio, dit-il en souriant ; mais on ne peut dire que ce soit un bon vent.

« — La tempête m’a pris si fort, dit le nouvel arrivé, que j’en ai perdu la vue, presque la tête, et tout à fait ma route. C’est mon cheval qui m’a porté, par bonheur ; son instinct m’a été plus utile que ma raison.

« En entendant cette voix, Mario tressaillit et regarda attentivement l’inconnu, afin de distinguer ses traits ; mais l’obscurité du soir, encore augmentée par la tempête, rendait tous ses efforts inutiles.

« — Monsieur est Romain ? demanda-t-il d’une voix brusque et légèrement émue.

« — Oui, répondit l’autre. Vous m’avez reconnu à l’accent, n’est-ce pas ? Eh bien ! vous aussi, monsieur, Vous me semblez être de ce pays-là.

« — J’en suis en effet, dit sèchement Tiburzio, dont le front s’assombrissait.

« — Tant mieux. Vive le hasard qui me fait rencontrer un compatriote. L’hospitalité que j’espère recevoir pour cette nuit ne m’en sera que plus agréable. Un peu de paille sèche me suffira ; mais si je pouvais avoir un lit