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pour me reposer et quitter mes habits trempés, je serais le plus heureux des hommes.

« Mario ne répondit pas, il semblait réfléchir. Tout à coup, comme pris d’une idée subite, il se tourna vers l’un des paysans de la métairie qui se tenait dans un coin de la chambre.

« — De la lumière ! lui dit-il ; puis il poursuivit, en s’adressant au nouveau-venu : — Vous aurez mon lit et ma chambre. Il faut que vous quittiez ces vêtemens. À nous tous, moi, mes soldats et ces braves gens, nous trouverons bien le moyen de vous en donner de rechange.

« — Je vous remercie, dit l’inconnu, mais je ne voudrais pas vous déranger. Demain je partirai de bonne heure,… cette nuit même, si le temps se rétablit, car j’ai une mission importante à remplir. Je suis porteur de dépêches du général Durando au roi Charles-Albert

« — Ah ! s’écria Tiburzio. Et en lui-même il pensait : Il est donc impossible que ce soit lui. Cependant…

« Le paysan avait allumé une lanterne. Mario la lui prit vivement des mains, et, s’approchant de son interlocuteur, il dirigea sur son visage les pâles rayons d’une lumière douteuse. Il tressaillit, et un éclair brilla dans ses yeux.

« — Venez, dit-il en s’efforçant de dissimuler son émotion.

« Arrivé au pied de l’escalier, il s’arrêta en continuant de jeter sur son hôte un regard inquisiteur que ce dernier commençait à trouver gênant.

« — Allez, reprit-il. Là-haut est la chambre, je vais vous envoyer des habits secs.

« — Merci, répondit l’autre. Il prit la lumière et monta.

« Mario restait immobile et pensif. Puis, comme résolu à éclaircir tous ses doutes, il leva la tête et cria : — Landuzzi !

« L’officier inconnu n’était pas encore en haut de l’escalier. Il s’arrêta court, se tourna vers Mario, et répondit d’un l’on où perçait l’inquiétude : — Qu’y a-t-il ? Vous me connaissez donc ?

« — Oui, dit Mario, depuis longtemps, depuis trop longtemps pour que vous vous le rappeliez.

« — Qui êtes-vous ? demanda Landuzzi.

« — Allez là-haut, changez d’habits et reposez-vous. Avant une heure, je viendrai me rappeler à votre souvenir.

« Quelques instans après, un soldat entra dans la chambre ; il apportait des vêtemens.

« — Comment s’appelle l’officier qui commande le détachement ? lui dit Landuzzi.

« — Mario Tiburzio, répondit le soldat. Et il sortit.

« Cependant Mario était sur le seuil de la porte extérieure. Les bras croisés sur sa poitrine, le visage sombre comme la tempête qui se déchaînait de plus en plus, le front plissé, l’œil enflammé, les lèvres serrées avec une expression admirable de résolution et de force, il paraissait plongé dans de profondes réflexions. Après être resté longtemps ainsi, il appela Romualdo, Selva et les deux frères Fortinatti, ses subordonnés et tout ensemble ses amis les plus chers. — J’ai besoin de vous, leur dit-il à voix basse, de manière