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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/308

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à n’être entendu de personne. Restez ici, dans cette chambre. Si ce Romain descend et me demande, vous lui direz de m’attendre ; s’il vous interroge sur mon compte, vous ne lui répondrez pas ; s’il veut partir, vous le retiendrez jusqu’à mon retour, même par la force. Je sors. J’ai besoin d’air et de mouvement. Il faut que je rafraîchisse mon sang qui brûle à la pluie battante et au vent froid de la nuit. Une terrible nuit ! mais Dieu l’a voulu ! Vous la passerez ici. Tenez-vous prêts, à quelque heure que je vienne vous chercher.


Mario passe une heure à errer dans la campagne : il revient enfin, décidé à faire justice de l’homme qui est son prisonnier, et qui n’est autre que le traître dont les dénonciations perfides l’ont livré, il y a bien des années, à la police pontificale. Il monte, portant deux sabres, à la chambre de l’officier.


« — Landuzzi, dit-il, me reconnais-tu ?

« — Oui, répondit une voix mal assurée ; vous êtes Mario Tiburzio.

« Les amis de Mario s’étaient rapprochés de la porte pour mieux entendre et s’élancer dans la chambre, s’il devenait nécessaire de prévenir une catastrophe. Les deux lames de sabre résonnèrent. Mario venait de les jeter sur la table.

« — Depuis que nous ne nous sommes vus, reprit-il, il s’est écoulé bien des années. La souffrance et le malheur m’ont vieilli. J’ai été traqué comme une bête fauve. J’ai connu dans mon propre pays les tristes jours et les nuits inquiètes du bandit, j’ai gémi dans les prisons, j’ai passé vingt-quatre heures d’agonie qu’une condamnation capitale avait décrété devoir être les dernières de ma vie ; j’ai mangé le pain de l’exil et n’ai pu fermer les yeux de ma mère.

« Il se tut, comme accablé par l’émotion.

« — Oui, dit Landuzzi d’une voix doucereuse, vous avez beaucoup souffert, Tiburzio ; je vous plains sincèrement.

« Mario reprit avec un accent de terrible ironie : — Ah ! tu me plains ! A merveille. Eh bien ! sais-tu ce que je veux de toi ?

« — Non, dit Landuzzi de plus en plus troublé. Je vous vois hors de vous, j’entends des paroles incohérentes, et je ne sais…

« Mario l’interrompit brusquement : — Combien t’a-t-on donné, traître, pour nous vendre, moi et les autres imprudens que tes mensonges ont entraînés dans cette déplorable conjuration ?

« Landuzzi garda le silence. Mario continua en lui rappelant un à un tous les détails de sa perfidie.

« — J’ai prié Dieu, dit-il en terminant, de me mettre une fois encore en face de toi. Je ne lui ai pas adressé d’autre prière. Maintenant comprends-tu ce que je veux ? ton complice ne t’a-t-il pas dit que j’ai juré de te tuer, ainsi que lui, sans pitié ?

« — Tiburzio, s’écria Landuzzi en mettant la main sur ses pistolets, si vous avancez d’un pas, je vous fais sauter la cervelle !

« À ces mots, les quatre bersaglieri firent un mouvement pour s’élancer dans la chambre ; mais ils s’arrêtèrent en entendant Mario reprendre avec