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Il ne faudrait pas croire que, dans l’état présent des choses, la perte fût bien sensible pour la plupart des particuliers, même riches. À l’heure qu’il est, la dépréciation de l’or par rapport à l’argent est très petite, et par conséquent, pour une somme de 1,000 à 2,000 fr., qui est tout ce que peuvent avoir communément en monnaie d’or chez elles les personnes aisées, le dommage, en le supposant de 1 pour 100[1], serait de 10 ou 20 fr. ; qu’on le double si l’on veut, et il sera encore insignifiant par rapport à leur revenu. À celles qui se plaindraient, on serait en droit de répondre que le gouvernement ne leur impose aucun sacrifice, qu’il se borne à faire cesser une fiction et une confusion préjudiciables à l’intérêt public, et que, si elles se trouvent lésées, c’est à la nature des choses qu’elles ont à s’en prendre.

Mais encore un coup, quand bien même on croirait que c’est l’état qui doit supporter la diminution de valeur dont les pièces d’or sont présentement atteintes, ce ne serait pas une raison pour ne pas procéder au changement. D’impérieux motifs économiques et politiques commandent qu’on prenne un parti décisif. On se préparerait de grands regrets, si l’on tardait davantage. La dépense d’une refonte, faite même à la charge de l’état, n’est rien en comparaison des dommages auxquels on se condamnerait, si on ne se hâtait d’agir conformément aux principes et à la loi interprétée fidèlement. Néanmoins, quelque mauvaise chance qu’on ait dans notre pays lorsqu’on soutient l’intérêt public contre les intérêts privés, je ne puis m’empêcher de répéter qu’aux termes des documens qui fixent le sens de la loi ou comblent les lacunes du texte, l’état n’est tenu à aucune indemnité envers les détenteurs des pièces d’or.

Dans tous les cas, il est une mesure à laquelle les esprits les plus timorés ne pourront contester le caractère légal ni celui de l’opportunité : c’est de suspendre dès aujourd’hui le monnayage de l’or. Ce monnayage, poursuivi, comme il l’est, avec une ardeur fébrile par les commerçans en métaux précieux, devient un dommage public. Il ne sert pas à augmenter sensiblement la masse de monnaie dans le pays. Au surplus, on peut avoir le plus grand doute sur la convenance

  1. En Belgique, où, en vertu de la législation nouvelle sur les monnaies, le phénomène des variations de valeur entre les deux métaux est plus apparent que chez nous, les pièces de 20 francs perdaient à la date des derniers renseignemens que j’ai eus (fin septembre) de 1/2 à 3/4 pour 100 dans les transactions de quelque importance ; on les acceptait au pair dans les hôtels et dans les grands magasins. Depuis les arrivages de la Californie et de l’Australie, l’or n’a jamais perdu en Belgique plus de 1 et 1/2 pour 100. Il est à croire cependant que, si la France déclarait abrogé chez elle le rapport légal de 1 à 151/2 entre les deux métaux précieux, la baisse de l’or se prononcerait davantage, parce que la France remplit, à ses dépens aujourd’hui, le rôle de parachute pour l’or. Tant qu’elle offrira aux commerçans en métaux précieux un marché où il leur soit possible de troquer leur or contre de l’argent sur le pied de 1 contre 15 1/2, la valeur de l’or relativement à l’argent ne pourra, en Europe, s’écarter beaucoup de ce rapport. L’écart ne deviendra plus marqué qu’au moment où la France sera épuisée de pièces d’argent, à moins qu’avant ce temps elle ne renonce à cette fixation.