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« — Non ! s’écria Landuzzi avec quelque énergie, il n’a pas plus le droit de me tuer en ce moment que je n’ai le droit de le tuer lui-même. En d’autres temps, soit. Plus jeune que moi, plus exercé aux armes, il aurait de son côté toutes les chances de la victoire ; mais je ne puis mourir maintenant. Non-seulement j’ai consacré ma vie, comme lui, à d’autres périls plus nobles et plus dignes de nous, mais je suis chargé d’une mission, et les lois de l’honneur militaire ne me permettent pas, j’en appelle à vous tous, de m’en laisser détourner par quelque considération que ce soit.

« En entendant ces paroles, Mario, en proie à une grande perplexité, avait baissé la tête. Tout à coup il s’élança vers Landuzzi pour lui imposer silence. Retenu à temps par ses amis, il alla respirer plus librement à la fenêtre, et appelant à lui Romualdo :

« — Trouves-tu, lui dit-il, que cet homme ait l’air d’un traître ?

« — Non, en vérité.

« — Il l’est pourtant, il l’a confessé lui-même. Avec ces couleurs nationales dont il se pare au milieu des rangs italiens, peut-être ne fait-il que trahir notre cause. Lui ôter la vie, ce serait, je crois, rendre un vrai service à notre pays.

« Il s’arrêta un instant.

« — Et pourtant il a raison, reprit-il bientôt, le tuer est un assassinat, verser notre sang pour une cause privée est un crime ; mais renoncer à une si juste vengeance ! Ô chère Italie ! voilà le plus cruel sacrifice que je me sois encore imposé pour toi.

« Il se tut et croisa les bras. Ses amis gardèrent comme lui le silence. Ils savaient que ses propres méditations l’amèneraient plus sûrement que toutes les paroles du monde à une généreuse résolution. Enfin il releva la tête. Il avait repris toute sa sérénité. Sa passion était définitivement vaincue.

« — Va, dit-il à Romualdo, fais-le partir au plus vite, qu’il se hâte de me fuir, et que Dieu le juge ! Le nom de l’Italie l’a sauvé ; mais, par l’âme de mon père, qu’il fasse en sorte de ne plus me tomber sous la main ! Tu le mettras sur la route de Valeggio. Va vite.

« Landuzzi ne se le fit pas dire deux fois. Il prit son sabre, et suivit Romualdo. Quelques minutes après, on entendait sur la route le galop de son cheval.

« Pendant deux jours, Mario resta sombre et silencieux. Jamais il ne fit plus la moindre allusion à cette affaire, si ce n’est qu’une fois, mettant à Romualdo la main sur l’épaule, il lui dit ces paroles : — Pardonner est une vertu chrétienne qui a sa douceur ; mais renoncer à sa vengeance sans avoir pardonné, c’est un sacrifice au-dessus de nos forces, à nous dans les veines de qui coule le sang italien. »

M. Bersezio ne nous dit plus qu’un mot sur cet énergique représentant du patriotisme italien. Le lieutenant Mario Tiburzio fut au nombre de ces braves officiers qui, à la bataille de Novare, s’exposèrent à tous les dangers, non-seulement en affrontant les balles et les boulets de l’armée autrichienne, mais surtout en luttant presque seuls contre les bandes de conscrits mal disciplinés et mal aguerris