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qu’une frayeur panique entraînait à déserter le champ de bataille et à se réfugier sous les murs de Novare. Vingt fois Mario entendit siffler à ses oreilles les balles de ses propres soldats, irrités de l’obstacle qu’ils trouvaient dans leurs chefs. Vingt fois il les ramena au combat, en les menaçant, s’ils faisaient un pas en arrière, de leur fendre le crâne, et nul ne peut affirmer qu’il n’ait pas été obligé sur tel ou tel point d’exécuter sa menace pour retenir les fuyards. Tiburzio survit à la bataille de Novare ; mais qu’est-il devenu pendant les huit années qui nous séparent déjà de cette journée fatale ? C’est ce que M. Bersezio ne nous apprend pas ; nous essaierons de suppléer à son silence et d’ajouter une page à son récit incomplet. Dès que la paix a été conclue, Tiburzio, devenu capitaine, a donné sa démission : le métier des armes ne plaisait à son intelligence élevée qu’autant qu’il lui permettait de concourir à l’affranchissement de sa patrie. Vienne une guerre nouvelle, il reprendra du service, fût-ce comme simple soldat, si l’on refuse de lui rendre son grade. En attendant, sollicité à plusieurs reprises de se mettre sur les rangs pour la représentation nationale, il a décliné l’honneur qu’on voulait lui faire tant que les destinées de son pays d’adoption ne lui ont point paru bien assurées, car il ne se reconnaissait pas le droit d’influer par son vote sur des questions politiques qu’il appartenait aux seuls Piémontais de résoudre ; mais le jour où M. de Cavour, en prenant en main au congrès de Paris la cause de l’Italie, a donné au ministère qu’il préside une si grande prépondérance morale dans la péninsule, Mario Tiburzio est entré à la chambre des députés pour soutenir le ministre libéral et patriote. Assis sur les mêmes bancs que l’avocat Poggei, il n’a pourtant avec lui que les rapports de stricte politesse auxquels le souvenir de son admission dans l’armée piémontaise lui défend de se dérober. Il rencontre quelquefois dans le monde Cosma Grechi, qu’il a connu avant sa palinodie et sa grandeur ; mais du plus loin qu’il l’aperçoit, M. le chevalier de Savornio prend par un autre côté. C’est qu’un jour, ayant voulu serrer la main à Tiburzio, il vit celui-ci reculer de quelques pas, — Vous ne me reconnaissez donc pas ! dit-il alors. Je suis Cosma Grechi. — ; Vraiment ? répondit Mario en s’éloignant avec dédain, non, monsieur, je ne vous reconnais pas ; vous êtes trop changé.

Ainsi que le chevalier, le comte de San-Luca et le marchesino de Baldissero évitent de rencontrer le héros aux pieds rapides. Il semble que ce soit le châtiment naturel de ces esprits frivoles, de ces faibles caractères, de n’oser aborder un homme de cœur, un bon citoyen. San-Luca mourra dans l’impénitence finale ; ses cheveux gris ne lui persuaderont pas qu’il a franchi les limites de la folle jeunesse. Le marchesino, devenu marquis de Baldissero par la mort