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de guerre, en recommandant de leur enseigner le catholicisme. Le roi a voulu sans doute être agréable à la mission en lui procurant d’un seul coup un bataillon de recrues ; mais il est probable que, s’il a livré si aisément des Annamites, il n’aurait point enrôlé ses Siamois sous la bannière chrétienne. Il y a même, sinon la marque d’une grande indifférence, au moins l’indice d’une certaine naïveté dans ce cadeau fait à la mission. Il convient de signaler encore divers moyens d’augmenter le nombre des baptêmes. Des personnes pieuses parcourent les villages où sévissent des épidémies ; elles portent des médicamens, ce qui leur donne accès dans les cabanes, et elles profitent d’un moment favorable pour baptiser les enfans moribonds. On compte également sur l’achat des petits enfans à l’aide des fonds recueillis par l’œuvre de la Sainte-Enfance. Les enfans d’esclaves s’achèteraient à très bas prix ; on les confierait à des familles chrétiennes, et ils seraient élevés dans la vraie religion. Il est bien plus facile, suivant la remarque judicieuse de Mgr Pallegoix, de faire ainsi des chrétiens que de convertir les grandes personnes, qui tiennent ordinairement beaucoup à leurs superstitions[1].

Sans manquer au respect que commande une œuvre sainte, on est involontairement porté à sourire en présence des procédés appliqués à la conversion des infidèles. Rien n’arrête ces infatigables sauveurs d’âmes : soit qu’ils baptisent par surprise l’enfant qui se meurt dans les bras d’une mère désolée, soit qu’ils achètent à prix d’argent des prosélytes à la mamelle, leur mission est accomplie, ils font des chrétiens ; mais, à envisager les choses sérieusement, n’est-ce point de leur part un touchant aveu d’impuissance que cette ardeur excessive à s’emparer d’âmes sans défense, alors que, parmi « les grandes personnes, » les conversions demeurent si rares ? Le dénombrement des chrétiens à Siam est là qui atteste l’inutilité presque absolue des sacrifices et des travaux de la propagande. Mgr Pallegoix ne se dissimule pas cette situation, qui serait désespérante pour

  1. Voici, sur le même sujet, d’intéressans détails extraits de la relation du comte de Forbin, qui accompagnait l’ambassade de M. de Chaumont : « Le roi (Louis XIV) me demanda si les missionnaires faisaient beaucoup de fruit à Siam, et en particulier s’ils avaient déjà converti beaucoup de Siamois. — Pas un seul, sire, lui répondis-je ; mais comme la plus grande partie des peuples qui habitent ce royaume n’est qu’un amas de différentes nations, et qu’il y a parmi les Siamois un grand nombre de Portugais, de Cochinchinois, de Japonais, qui sont chrétiens, ces bons missionnaires en prennent soin et leur administrent les sacremens. Ils vont d’un village à l’autre et s’introduisent dans les maisons sous prétexte de la médecine qu’ils exercent et des petits remèdes qu’ils distribuent ; mais, avec tout cela, leur industrie n’a encore rien produit en faveur de la religion. Le plus grand bien qu’ils fassent est de baptiser les enfans des Siamois qu’ils trouvent exposés dans les campagnes, car ces peuples, qui sont fort pauvres, n’élèvent que peu de leurs enfans, et ils exposent tout le reste, ce qui n’est pas un crime chez eux. C’est au baptême de ces enfans que se réduit tout le fruit que les missions produisent dans ce pays. »