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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/375

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étaient engagés. Les journaux intervinrent dans le débat, quelques-uns, mais en petit nombre, en prenant ouvertement la défense des patrons, moins peut-être par sentiment d’équité que par souci de leur clientèle, les autres en laissant voir que leurs sympathies étaient pour les ouvriers, et en prêtant leur appui à des prétentions qui leur paraissaient légitimes. De nombreux meetings se réunirent de toutes parts ; ouvriers et patrons eurent les leurs, et des deux côtés, après avoir délibéré, on remit à des comités permanens le soin de veiller à l’exécution dès résolutions arrêtées.

Les grèves ont été fréquentes autrefois en Angleterre. On se rappelle encore celles de 1829 et de 1840 et les excès de toute nature auxquels les ouvriers se sont portés à ces époques : c’était alors une sorte de guerre déclarée aux fabricans et aux manufacturiers, et on n’entendait parler que de meurtres, de pillages et d’incendies. La grève de 1853, non-seulement à son début, quand elle était pour ainsi dire spontanée et qu’une sorte, de nécessité pour les ouvriers la légitimait, mais plus tard même, alors qu’elle prit à Preston le caractère d’une révolte organisée, ne se laissa jamais entraîner à ces coupables excès. Dans cette première période surtout, les ouvriers montrèrent une louable modération. Habiles à tirer parti du sentiment général de sympathie si souvent et officiellement proclamé dans le pays pour les classes souffrantes, pour leur amélioration morale surtout, s’ils demandaient des salaires plus élevés, c’était, disaient-ils, que leur salaire actuel, entièrement absorbé par les nécessités de la vie, ne leur laissait rien pour adoucir la condition de leurs femmes et pourvoir à l’éducation de leurs enfans. L’aigreur ne se mêlait à leurs plaintes que lorsqu’ils en venaient à ce qu’ils appelaient les déceptions des nouvelles lois sur la liberté du commerce. La prospérité du pays s’en était accrue, leurs patrons y avaient trouvé une source féconde de bénéfices et de richesse ; mais elles avaient été pour eux sans effet, et c’est vainement qu’ils en avaient espéré plus de bien-être et d’aisance. Que leur servait-il qu’il y eût eu des dégrèvemens et des suppressions de droits, si le profit le plus clair en demeurait aux mains des commerçans, des manufacturiers et des marchands[1], et si les consommateurs n’en payaient pas moins tout à des prix plus élevés que par le passé, objets d’habillement et denrées alimentaires de toute sorte ?

De tels griefs, à quelques exagérations près, avaient un grand

  1. Le jour où le droit sur le thé fut réduit à Liverpool de quatre deniers par livre, les marchands de la ville rachetèrent en douane à deux deniers plus cher qu’ils ne le faisaient la veille : ils savaient que, nonobstant la réduction, ils abaisseraient d’un denier au plus leur prix de vente au détail, et qu’ainsi, même en ayant acheté plus cher, ils pouvaient encore compter sur un plus gros bénéfice que par le passé.