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fonds de vérité. Aussi les patrons cédèrent-ils presque toujours dans le premier moment aux réclamations qui leur furent présentées. À Stockport, ville manufacturière de premier ordre, la concession fut entière, et depuis on a beaucoup reproché aux fabricans de ce pays ce que l’on a nommé leur acte de faiblesse. À Manchester, les hommes de la police et les magistrats n’ayant pu réussir à tomber d’accord, ces derniers s’étaient adressés aux polices des villes voisines, ou cherchaient des recrues parmi les Irlandais ; mais les nouveau-venus étaient mal accueillis dans la ville, les enfans les suivaient avec des huées, et l’on fut forcé de satisfaire aux exigences des anciens constables pour les amener à reprendre le bâton, signe de leurs fonctions. Dans le pays de Galles, les mineurs, dont plus de 8,000 se préparaient à émigrer en Australie, avaient obtenu le surcroît de salaire qu’ils avaient mis pour condition à la reprise du travail. Dans tous les chantiers de constructions maritimes, le prix de la journée avait été augmenté de 2 et 3 shillings, et plus tard, mais cette fois sans qu’il y eût coalition des ouvriers et par l’effet seul du besoin qu’on avait de leurs bras, il fut porté dans certains ports jusqu’à l’énorme somme de 15 et même 16 shillings. Si dans quelques localités on essaya de résister à toutes ces prétentions, un peu plus tôt ou un peu plus tard il fallut finir, sinon par se soumettre absolument, du moins par entrer en transaction. À Liverpool seulement, les ouvriers du port furent contraints de céder ; l’opinion était unanime à trouver leurs exigences exorbitantes, et comme en définitive ils n’avaient à mettre au service de ceux qui les employaient que de la force physique, les remplacer eût été chose facile. Au premier appel qui lui aurait été fait, l’Irlande y aurait abondamment pourvu : on le leur fit sentir, même assez durement ; mais cet exemple a été unique, et partout ailleurs la victoire est restée aux ouvriers, partout ils ont obtenu une augmentation de salaire, moindre pour les uns, plus forte pour les autres, selon les lieux et la situation plus ou moins prospère des industries auxquelles ils appartenaient. Dans cette première période de la crise en effet, les ouvriers et les maîtres discutaient encore à l’amiable leurs conditions, et au besoin savaient se faire de mutuelles concessions.

Trois mois s’étaient ainsi passés en débats presque partout terminés à l’avantage des ouvriers : on espérait se remettre promptement de cette crise, et l’on se préparait à faire face à des difficultés d’un autre ordre dont on pressentait l’approche. En Angleterre et sur tout le continent, la moisson avait été mauvaise, et sans avoir une année de famine à craindre, on s’attendait à un excessif renchérissement du pain et de toutes les autres subsistances. Dans les régions politiques, on voyait la question d’Orient se compliquer chaque jour,