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établies entre les diverses corporations depuis les temps les plus reculés, et les vieilles et riches familles du pays s’y recommandent par leurs sentimens de sympathie pour les classes que la fortune a moins bien partagées qu’elles.

On comprend que dans de telles conditions les ouvriers des manufactures de Preston fussent peu disposés à rompre les liens d’union et d’harmonie qui existaient entre eux et leurs maîtres. Ils avaient été les derniers à prendre part à la grève de 1836 ; celle de 1853 était générale dans le pays ; tout autour d’eux, elle avait réussi dans les manufactures de coton, au profit de leurs camarades, sans qu’aucun symptôme d’agitation se fût encore fait voir à Preston. Cependant il importait aux meneurs d’engager les Prestoniens dans leur cause ; ils y étaient poussés par un double motif. Si les ouvriers de Preston, les mieux traités et les plus favorisés de l’Angleterre, élevaient la voix contre leurs maîtres ; si eux aussi ils se plaignaient de leur sort, quel est celui qui pouvait se résigner au sien et n’avait pas le droit de demander le redressement des torts dont il souffrait ? Victorieuse à Preston, là où la résistance devait être la plus opiniâtre, la ligue le serait facilement devenue dans tout le pays. C’était là, disaient les instigateurs à leurs camarades pour les entraîner, qu’était la citadelle de la corruption, et cette citadelle tombée, ils n’auraient plus qu’à demander partout acquiescement et soumission aux conditions qu’il leur plairait de dicter. Tous leurs efforts tendirent à ce résultat.

En conséquence, une réunion de délégués des divers districts manufacturiers ayant été tenue à Stockport, il y fut résolu qu’on irait à Preston pour y organiser une grève, et quelques jours plus tard, les meneurs se rendaient dans cette ville, après y avoir fait annoncer qu’ils venaient pour délibérer avec leurs camarades de Preston sur les moyens de leur faire concéder les 10 pour 100 qu’ils avaient eux-mêmes obtenus. L’assemblée était nombreuse ; son président, un agitateur bien connu, leur dit : « Vos camarades de Stockport ont noblement engagé la bataillé et l’ont gagnée ; ils viennent aujourd’hui à votre aide, secondez-les en les imitant. Leur appui vous est assuré, et ce n’est pas seulement les 10 pour 100 qui vous seront donnés : il se passera peu de temps avant que cette augmentation de salaire ne soit portée au-delà du double. » Ces paroles, combattues par quelques-uns des plus sages, qui s’en effrayaient, furent malheureusement accueillies par le plus grand nombre, et la résolution qui les sanctionna décidait que les ouvriers de Preston signifieraient immédiatement à leurs patrons qu’ils les quitteraient dans huit jours ; si d’ici là les salaires, des plus bas aux plus élevés indistinctement, n’avaient pas été augmentés de 10 pour 100, et si,