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l’agitation et à vivre des profits qu’elle leur assurait. George Cowel lui-même se défendit assez mal du reproche que lui fit un des membres influens de l’association des maîtres, d’avoir gardé par-devers lui à cette époque, sans la communiquer aux ouvriers, comme il en avait été requis, une proposition acceptable d’arrangement. Un poète populaire, qui avait longtemps exercé sa verve contre les patrons, la tourna alors contre le champion le plus estimé de son parti. « Cowel, disait-il dans une chanson qui ne trouva point un mauvais accueil parmi les ouvriers, Cowel n’a pas la pensée de reprendre jamais le travail, soit avec le fuseau ou la navette, soit avec la pioche ou la bêche : il appartient aujourd’hui à une bande d’hommes qui savent bien que la meilleure besogne est celle de l’orateur. Cowel a une langue dangereuse : il nous a dit que nous aurions de plus beaux salaires ; mais Cowel nous a longtemps trompés, car cette lutte sans espérance ne finit pas. Nous mourons de faim ; mais qu’importe à nos délégués ? Réunis autour d’une table bien garnie, chaque jour ils deviennent plus gras, et nous devenons plus maigres. »

D’autres tentatives de conciliation se produisirent encore et avortèrent de même. Une fois les ouvriers filateurs demandèrent une entrevue avec leurs maîtres ; mais comme ils étaient venus accompagnés d’un certain nombre de délégués de villes éloignées, les maîtres refusèrent de les accueillir, disant qu’ils ne voulaient traiter qu’avec leurs ouvriers. Une autre fois, et ce fut la dernière, à la suite d’un meeting tenu par les habitans de la ville, une députation, sous le nom de comité de médiation et sous la conduite du chef du clergé de Preston, intervint auprès de l’association des maîtres. La demande resta sans résultat : les maîtres n’admettaient pas que la question regardât d’autres personnes qu’eux-mêmes. Fidèles à la règle de conduite qu’ils s’étaient faite, et à laquelle ils adhéraient plus fermement que jamais, ils maintenaient qu’un règlement de salaires était matière à traiter entre l’ouvrier seul et son patron, et que l’ingérence de tout autre était abusive. « Nous avons fait, disaient-ils, nos offres à nos ouvriers, offres justes, à ce que nous croyons ; nos ateliers leur sont ouverts, ils refusent d’y rentrer ; nous garderons, eux et nous, nos positions jusqu’à ce qu’il convienne à eux ou à nous d’en changer. » En droit strict, malgré une dureté apparente, ce langage n’était que juste : il était l’expression vraie de la loi économique qui régit les rapports des maîtres et des ouvriers en matière de salaires. Dans la circonstance présente, il était pour ainsi dire imposé aux manufacturiers de Preston. Après une querelle qui avait fait tant d’éclat, pouvaient-ils s’en départir sans péril pour eux-mêmes et sans félonie envers leurs confrères, dont