Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre charrue ? — Pourquoi pas ? dit le paysan, qui ne sait guère à qui il parle ; mais je doute que vous le puissiez faire. Cela se voit de reste. Essayez toujours. — Essayons, dit l’empereur, et déjà il a le timon en main. Les chevaux partent, le soc tranche la terre, tout va bien… — Halte ! crie subitement le vieillard, vous enfoncez le soc trop avant, et vous amenez de la mauvaise terre. Ce champ-là n’est pas fait pour de si profondes entailles. » L’empereur sourit, s’appliquant à lui-même et à sa politique l’admonition du paysan. Sur ces rapports du paysan et de l’empereur, l’imagination populaire a brodé toute une histoire, et le compère n’oublie pas d’en tirer la leçon morale. Hélas ! il n’est que trop vrai, l’empereur Joseph a voulu creuser trop profondément son sillon. Cet esprit si libéral a montré en certaines occasions l’intolérance la plus cruelle, comme le prouve l’histoire du déiste Christophe, si bien contée par M. Auerbach. Le compère ne s’aveugle pas sur les vertus du souverain à qui il a voué une si respectueuse tendresse ; il sait que la loi vaut mieux que le pouvoir arbitraire d’un homme, ce pouvoir fût-il confié aux mains les plus bienveillantes et les plus pures.

Ce sont donc des leçons de patience et de modération que donne le rustique instituteur. Et si l’on songe de quel écrivain viennent ces leçons, si l’on se rappelle qu’après 1848 plusieurs de ses ouvrages, son drame d’André Hofer par exemple, excitaient des émotions toutes contraires, on admirera le travail qu’il a accompli sur lui-même et l’exemple qu’il donne. Cette patience n’est pas la mollesse inerte du quiétisme ; c’est une patience virile, la patience de l’homme qui se réforme lui-même et sait se rendre digne de ce qu’il désire.

La plupart des histoires que raconte le compère sont de petits drames psychologiques. Le sujet est insignifiant en apparence ; regardez-y bien, vous verrez une étude précise, un développement magistral des passions. Il serait plus facile assurément d’imaginer quelque violent mélodrame, et il faut être sûr de soi pour se résigner à être si simple. Comment cette Allemagne, volontiers sympathique aux conceptions exagérées et fantasques, a-t-elle pu accueillir ainsi des narrations qu’un lecteur superficiel prendrait pour des contes de bonne femme ? Ce n’est pas seulement l’habileté du style qui l’a charmée, c’est la science du cœur humain. L’histoire du paysan Xaveri, qui désole sa famille, qui scandalise le village par sa violence et son humeur farouche, et qui, soutenu au fond par quelques bons instincts, trouve toujours d’excellentes raisons pour ajourner la réforme de sa vie, est certainement un sujet d’une innocence un peu niaise, si l’on ne considère que l’ensemble. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, ce qui est tout ici ; c’est la connaissance du cœur, c’est l’exposé impitoyable des combinaisons, des