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on tient aux armes qui vous ont rendu victorieux, il l’aimait comme un sauvage aime son arc, ou, si vous trouvez la comparaison trop peu noble, comme Achille aimait sa lance et son bouclier. Sous tous les régimes, il eût, je le crois, suivi l’opposition, et s’il ne l’eût pas suivie, il l’eût au moins ménagée. Cependant cet amour de l’opposition sous d’autres régimes eût été un jeu plus ou moins agressif, ou un moyen de conserver une popularité qui lui était chère ; il n’eût pas franchi certaines limites, car Béranger était très habile à se modérer quand il le fallait, et il aurait pu se vanter, comme O’Connell, de passer aussi près que possible de n’importe quelle constitution sans lui faire le moindre accroc. Voyez les quelques chansons politiques écrites après 1830, elles ont juste le ton nécessaire pour lui conserver son rôle d’opposant sans le rendre agressif envers le pouvoir qu’il a contribué à fonder ; mais l’opposition de Béranger sous la restauration a un caractère distinct et très marqué, que des instincts frondeurs ne suffisent pas à expliquer. Béranger haïssait la restauration d’une haine implacable, d’une haine affamée de vengeance, et qu’on ne saurait comparer qu’au fameux lion de l’Écriture, quærens quem devoret. De tous les ennemis de la restauration, il m’apparaît comme le plus sérieux, en ce sens qu’il est le seul irréconciliable. Les autres ennemis apaiseront leurs colères ou modéreront leurs violences, lorsqu’ils verront une perspective de succès, ou qu’ils auront obtenu un triomphe partiel ; mais lui, aucune concession ne l’apaisera, aucun compromis ne le trouvera indulgent, et tous les ministères Martignac le laisseront aussi mécontent que devant. Il serait même désolé que la restauration s’arrêtât dans sa voie rétrograde. Dieu me conserve mon Metternich ! disait Louis Boerne après 1830 ; Dieu me conserve mon Villèle ou mon Polignac ! a dû se dire plus d’une fois Béranger sous la restauration.

C’est surtout dans les chansons satiriques, dans les chansons d’opposition directe, faites à mesure que les événemens se succèdent, que cette haine apparaît avec toute son énergie. Ce ne sont nullement des chansons de fronde, des chansons d’opposition à l’ancienne manière française ; ici la gaieté est sinistre, l’enjouement terrible, et les refrains valent des coups de feu. Ce ne sont pas des personnes nominativement désignées qui sont attaquées, ce ne sont pas des abus qui sont persiflés, ce sont des classes entières et une hiérarchie sociale au complet. Cette guerre obstinée est servie par des armes redoutables. Ces refrains se chantent d’eux-mêmes, on dirait une poudre douée de la propriété de s’enflammer toute seule. Quand on voit partir ces légères flammes incendiaires, on a je ne sais quelle envie de crier au feu ou d’y courir pour son propre compte. Pour mieux expliquer ma pensée, je désignerai les refrains des Révérends Pères, des Missionnaires et des Capucins comme