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particulièrement mignonne. Elle a quelque chose de frêle et de printanier. C’est une femme à peine, quoiqu’elle soit mariée depuis plus d’un an. Nous vieillissons, mon ami ; peut-être cette grâce adolescente est-elle pour moi un de ses plus grands charmes. Nous avons passé l’âge où l’on veut chez sa belle les teintes dorées du soleil couchant, l’haleine chaude et parfumée des longs jours à leur déclin. Il faut que notre amour tienne du matin ; des tons frais, un air un peu âpre, voilà ce que réclament nos yeux fatigués et toute notre personne engourdie. Tu souris, ce n’est que trop vrai. Je regrette les Ellenore, pour mieux dire le temps où je les adorais. Qu’y faire ? Cette petite avec sa mine d’Hébé me causa donc une singulière émotion. Je la plaçai dans le grand fauteuil où je venais de songer à elle, et je me mis à ses genoux. Elle ne disait rien et semblait près de tomber en défaillance. Seulement ses traits, au lieu d’être envahis par la pâleur, prenaient au contraire une teinte uniforme d’incarnat. Tout à coup ses yeux, qui étaient à demi fermés, se rouvrirent, et sans relever sa tête, appuyée sur mon fauteuil dans une attitude de suprême abandon, elle me jeta un regard d’une si étrange et si touchante expression, que je me sentis pénétré dans tout mon être d’un sentiment dont je fus confondu. Ainsi un homme initié soudain à la vie occulte des fleurs se sentirait regardé par la rose qu’il serait au moment d’arracher de sa tige. Je me disais à part moi : C’est bien une fleur que je coupe, et pour la mettre dans ce vase où tant de fleurs se sont fanées déjà, dans ce vase fêlé que j’appelle mon cœur !

« Mais cet élan d’une pitié rêveuse fut rapide, comme tu peux penser ; bientôt j’eus lieu de craindre, au contraire, ce que je redoute aujourd’hui, de n’aimer la belle qu’avec trop d’ardeur, de sincérité et de candeur hors de saison. Je dis à la charmante créature des paroles que depuis longtemps je n’avais adressées à aucune femme. Je prenais plaisir à lui réciter toutes ces litanies amoureuses que je croyais ne devoir plus débiter qu’avec un secret ennui, et en passant le plus de mots possible, comme un écolier pressé d’arriver à la fin de sa leçon. Sa langue se délia, et elle aussi prit part à cette fête de l’amour, sur laquelle je ne comptais point. Pour m’expliquer comment elle m’avait aimé, et aimé en apparence si promptement, elle me dit que depuis nombre de jours elle avait entendu parler de moi. Il paraît que j’ai à Herthal une sorte de réputation d’élégance qui, je l’espère, n’exaltera pas trop ma vanité. Elle voulait voir, ce sont ses expressions, ce vicomte de Fleminges, dont toutes ces dames venaient dire chez elle tantôt du bien, tantôt du mal, tout en mangeant ses petits gâteaux. « Il n’y a pas de femme dans sa vie, a dit un charmant poète, qui ne soit destinée à voir passer le fils du roi. »