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être cru sur parole quand il affirme son infaillibilité, et honoré à l’égal des plus nobles maîtres pour le moindre ouvrage sorti de ses mains. Tout témoignage d’improbation ou seulement de froideur prend à ses yeux les proportions d’un attentat dont il ne se vengera pas d’ailleurs en travaillant à mieux faire : Pierre Arétin a enseigné à ses contemporains des moyens plus faciles de maîtriser l’opinion, et Cellini est de ceux à qui la leçon a le mieux profité. C’est en flattant qui le récompense, en injuriant qui le dédaigne, en imposant partout sa personne au moins autant que son talent, qu’il saura réduire à peu près tout le monde à une sorte d’admiration forcée ou bien au silence : triste exemple de ce que peut trop souvent l’esprit de jactance et d’intrigue, mais aussi exemple bon à méditer ! Quand les artistes s’appliquent à exagérer ainsi leur importance, quand ils mettent une vanité bruyante à la place d’une juste fierté et l’intérêt personnel au-dessus du zèle de l’art, ils réussissent quelquefois à surprendre le succès ; ils peuvent même, comme Cellini, abuser pour un temps la postérité : à un certain moment la lumière se fait néanmoins, la fraude se décèle, et ce moment ne tarde pas toujours à venir. Pour notre siècle surtout, instruit sur ce point par de bien fréquentes expériences, les méprises ne sauraient être durables. Maintenant que toutes les jongleries sont usées, toutes les manœuvres percées à jour, l’artiste qui essaie ou qui essaiera d’escompter la gloire ne fera pas longtemps des dupes, et le moindre châtiment qui l’attende est le dédain à courte échéance et un irrévocable oubli. — Mais revenons aux œuvres de Cellini et à l’époque de ses débuts.

Le premier ouvrage du jeune orfèvre fut un fermoir de ceinture en argent qu’il exécuta à Florence, et sur lequel, — écrivait Cellini quarante ans plus tard, — on voyait agencés, « suivant le goût antique, des guirlandes de feuillage, des figurines d’enfans et des masques extrêmement beaux. » Puis, à la suite d’une rixe qui avait fait scandale, — car, en même temps que sa carrière d’artiste, Cellini commençait cette carrière de spadassin dont il a si complaisamment raconté les odieuses prouesses, — il alla se fixer à Rome. Quelques pièces d’orfèvrerie fabriquées dans cette ville pour l’évêque de Salamanque, quelques bijoux vendus à des femmes de la haute société romaine ne tardèrent pas à le mettre à la mode, et deux ans s’étaient à peine écoulés qu’il avait obtenu la faveur de Clément VII, faveur toute particulière, à ce qu’il semble, et qu’accrurent encore certains services, fort étrangers à l’art, rendus au pape pendant le siège de Rome. Ces services d’ailleurs, il est au moins probable que Cellini en exagère passablement l’étendue et le nombre. Qu’il se soit vaillamment conduit pendant la lutte engagée sous les murs