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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/77

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core, qu’il eût voulu nous voir encore une fois et nous recommander sa plus jeune femme et les deux enfans de celle-ci, qui seront sans ressources après la mort de leur père. Ahmed m’a dit que la femme et les enfans pourraient bien nous arriver d’un jour à l’autre, car notre pauvre Osman avait tout disposé pour qu’ils se missent en route aussitôt qu’il aurait fermé les yeux.

Mehemmedda dit tout cela d’une voix assez ferme ; son visage était triste et des larmes roulaient dans ses yeux, mais sa physionomie exprimait le fatalisme religieux plus encore que l’émotion. Moins habituées à dominer ainsi leurs affections, la mère, la fille et les brus éclatèrent en sanglots, tandis que les fils, suivant l’exemple de leur père, conservaient un air calme et grave.

— Et que deviendront ses autres femmes et ses autres enfans ? demanda Ansha après un long silence.

— Ahmed dit qu’elles appartiennent à des familles riches et haut placées qui prendront soin d’elles et de leurs enfans. Sa plus jeune femme seule doit venir nous demander asile.

— Et le pacha ne pourrait-il pas la reprendre maintenant qu’elle va être veuve ? dit timidement un des frères.

— Il paraît que notre fils ne le désire pas, repartit le vieillard en haussant légèrement les épaules ; peut-être est-ce à cause des enfans… Il a sans doute ses raisons pour cela.

— Tant mieux, tant mieux, ajouta la pauvre mère en se reprenant à sangloter ; si je ne dois plus revoir mon pauvre Osman, mon premier né, mon cher fils, ce sera au moins une consolation que d’embrasser et de soigner ses enfans.

— Êtes-vous prête à les recevoir, Ansha ? reprit le père ; d’après ce qu’Ahmed m’a dit, ils ne doivent pas tarder.

— Je vais tout préparer, répondit la mère. Et satisfaite d’avoir à se distraire ainsi de sa douleur, la digne femme ouvrit toutes les armoires, compta et examina les matelas et les couvertures, tandis que ses fils poursuivaient la conversation avec leur père.

— Cette jeune femme doit posséder de belles choses, disait l’un ; quand un pacha donne une esclave à son favori, il ne la lui donne pas toute nue, m’a-t-on dit ; il la couvre de belles étoffes et de riches pierreries ; il la fait suivre par des coffres remplis de beaux coussins brodés, de vaisselle d’or et d’argent, des plus beaux vêtemens et des plus beaux meubles du pays.

— C’est selon, répondit froidement le père. Et d’ailleurs, depuis que mon fils a épousé cette jeune fille, il peut avoir disposé des présens du pacha ; peut-être aussi faut-il rendre au pacha ses présens lorsque le mariage est dissous : je ne sais. Hich Allah nous devons nous préparer à recevoir notre fille et ses enfans aussi pauvres que