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on désigne en Orient un tabouret que l’on place les jambes en l’air, et que surmonte un grand plateau en cuivre posé sur les quatre pieds du tabouret comme sur des colonnes. Tout autour du plateau, des feuilles de pain sans levain pliées en quatre représentent les serviettes absentes, tandis qu’une véritable serviette, ou, si on l’aime mieux, une nappe longue de trois ou quatre mètres fait le tour de la table sur les genoux des convives, et leur sert à essuyer leurs doigts, après qu’ils ont rempli l’office de fourchettes. Quand ces apprêts furent terminés, l’une des brus déposa sur le plateau un demi-chevreau rôti, farci de riz et de raisin ; l’autre apporta un plat de boulettes de grains de froment concassés, bouillis et roulés dans des feuilles de vigne ; puis la petite Malek présenta à son père et à ses frères l’aiguière remplie d’eau limpide et la cuvette au fond de laquelle s’élève une espèce de promontoire portant à son sommet un morceau de savon. Les convives prirent successivement le savon entre leurs mains et reçurent la douche d’eau froide qu’y versait la petite, et qui, tombant dans la cuvette percée de petits trous, allait se perdre dans un double fond.

Le souper commença aussitôt et ne fut pas long, car le père de famille semblait silencieux et préoccupé, et personne dans la maison n’osait parler lorsqu’il gardait le silence. Le café fut servi par Mehemedda lui-même sans que son front se déridât. Le vieillard fit signe ensuite à sa femme de s’asseoir auprès de lui, et, après avoir allumé sa pipe, il dit entre deux.bouffées de tabac : « Le muletier Ahmed est arrivé ce matin de Constantinople. » Un moment de silence suivit cette brève communication. Ansha cherchait dans son esprit en quoi l’arrivée du muletier Ahmed pouvait intéresser son mari et le rendre aussi soucieux ; puis, comme si un rayon de lumière l’eût subitement éclairée, elle s’écria avec vivacité : — A-t-il apporté des nouvelles d’Osman-Bey ?

Hich Allah ! répondit Mehemmedda.

— De bonnes nouvelles ? reprit Ansha.

Le vieillard secoua la tête et demeura pensif, sa longue barbe blanche tremblait sur sa poitrine.

— Est-il plus malade ? demanda encore la mère alarmée.

— Beaucoup plus malade qu’il ne l’a jamais été, répondit Mehemmedda. Puis, faisant un effort pour se décharger des tristes nouvelles qui pesaient sur son cœur, il ajouta : — Le muletier Ahmed l’a vu avant de quitter Constantinople. Il était allé lui demander s’il avait quelques commissions pour nous, et notre fils, ayant appris qu’il était là, voulut le voir. Il était fort mal, et sa vie semblait ne devoir pas se prolonger au-delà de quelques jours ; il pria Ahmed de nous dire qu’il nous avait toujours aimés et qu’il nous aimait en-